Marina Merz vue par sa poésie
A propos de l’exposition « Marisa Merz – Ascoltare lo spazio / Ecouter l’espace », visible jusqu’au 22 septembre au LaM de Villeneuve-d’Ascq.
Elle n’a jamais cherché à faire œuvre. Marisa Merz était artiste comme elle était vivante. Considérée aujourd’hui comme la seule femme de l’arte povera, ce mouvement artistique italien qui se contente des matériaux les plus humbles et qui a été théorisé par son mari Mario Merz, elle a de surcroît longtemps été réduite au statut d’épouse du maestro. Ce qui ne l’a pas empêché, dès qu’en 1967 elle a marqué les esprits en utilisant son appartement de Turin pour exposer par exemple sa hotte de cuisine, de forger une œuvre singulière, radicalement libre et personnelle. Sans jamais rien archiver. Seuls ses poèmes en disent long. Le défi était donc de taille pour le LaM de Villeneuve-d’Ascq au moment de concocter la première exposition rétrospective qui lui est consacrée depuis sa mort en 2019, à l’âge de 93 ans. Mais si l’on en croit l’article d’Emmanuelle Lequeux paru dans le numéro estival de Beaux Arts Magazine, évoquant « une exposition tout en subtilités et révélations », ce défi est relevé en beauté. Avec « Marisa Merz – Ascoltare lo spazio / Ecouter l’espace », visible jusqu’au 22 septembre, Andrea Viliani et Sébastien Delot ont orchestré, non pas une exposition sur Marisa Merz, mais une exposition de Marisa Merz. Y compris en présentant des œuvres inédites.
Parce qu’attention, l’artiste italienne n’était pas du genre à élaborer des plans d’accrochage avant d’arriver dans un espace d’exposition avec toutes ses œuvres d’art empilées dans un camion ! Elle voulait voir sur place. Sentir sur place. On imagine facilement les sueurs froides des galeries d’art et des musées… Mais aussi celles des commissaires de cette rétrospective construite pour la première fois sans l’intuition de l’artiste. « Marisa était toujours dans un processus de recréation entre les expositions, ses œuvres n’avaient pas de titres et elle les faisait évoluer comme une matière vivante, raconte Andrea Viliani. On écoute l’espace. Le temps. La lumière. » Les deux commissaires ont donc essayé de se mettre dans la tête de Marisa… De recomposer des choses qu’elle passait son temps à décomposer. Il fallait oser. Ils ont bien fait d’oser.
Zoom arrière. « Marisa Merz naît en 1926 à Turin, où elle fréquente dès l’adolescence un environnement culturel caractérisé par l’expérimentation, jusqu’à la première présentation de ses Living Sculptures – œuvres réalisées en feuilles d'aluminium – en 1967 dans sa propre maison, et à la galerie d’art Gian Enzo Sperone, dans cette même ville. Souvent présentée comme la seule femme du groupe Arte Povera, Marisa Merz en maîtrise certains codes et enjeux – l’intérêt pour les matériaux bruts, la relation de la sculpture à l’espace, et de l’art à la vie – sans pour autant en faire complètement partie. En développant une position sensiblement autonome, elle produit pendant plus de cinquante ans une œuvre résolument ouverte.
Dans son atelier, Marisa Merz transformait l'espace et le temps en un grand collage, naviguant entre de nombreuses références, images et expressions de l’histoire de l’art, mais également des objets et matériaux du quotidien d’une grande variété : de l’aluminium à l’argile, du cuivre au nylon, de la cire au tissu. Un répertoire expressif radicalement personnel dans lequel culture savante et populaire, matériaux de l’art et objets de la vie quotidienne se confondent pour former une œuvre en même temps intime et étonnante, d’une puissance étrange.
Marisa Merz travaillait en séries mais en créant des œuvres éphémères, en transformation continue, revenant sans cesse aux mêmes motifs, aux mêmes matériaux, aux mêmes techniques, pour s’approcher véritablement de leur essence. Elle explore ses sujets par de subtiles et constantes variations, d’une œuvre à l’autre, jouant des échelles, des formes, des matières, des couleurs et des effets de surface. Les nombreux visages qu’elle a modelés, en cire, en argile ou en plâtre, recouverts de pigments, de feuilles d’or et de trames de cuivre, ou encore dessinés sans cesse, sur tous types de supports – de la planche de bois à la feuille de papier – ont pour cette raison la même incertitude dynamique et le même pouvoir d'attraction que ceux des artistes Medardo Rosso ou Amedeo Modigliani. Consciente que la peinture est un langage doté d’une mémoire, elle a pu retracer cette histoire, qui s'étend des icônes byzantines aux peintures religieuses les plus radicales, de Fra Angelico ou d'Antonello da Messina, retraçant néanmoins une histoire qui n'appartient qu'à elle. »
Le moins que l’on puisse dire est que Marisa Merz n’avait pas pour objectif de vendre des œuvres d’art… Ni même d’accéder à une quelconque reconnaissance d’ailleurs. « Elle travaille aussi bien l’or que la mémoire, la cire que l’argile. Mais surtout, l’instant présent », écrit Emmanuelle Lequeux. Rappelant que l’un des principes de l’arte povera consistait justement pour les artistes contemporains de cette époque à ne plus faire des œuvres d’art, mais à se sentir libre « de mener une guérilla de liberté contre le destin de l’œuvre d’art d’être un objet », comme le notait Germano Celant, le premier théoricien du mouvement. Marisa Merz n’avait rien à faire non plus de la chronologie. Rien que pour retrouver la trace de sa première participation à une exposition de l’arte povera en 1968, « il a fallu résoudre tout un rébus d’informations disparates », raconte Emmanuelle Lequeux.
Je ne vous dis pas les innombrables contresens que sa façon de travailler ont de tout temps généré dans la réception de l’œuvre de Marina Merz ! Dans une lecture très américaine, on l’a par exemple considérée comme féministe, alors qu’elle faisait son miel de sa vie domestique de mère de famille. Ailleurs on lui a justement reproché son manque d’engagement. Elle s’en foutait Marisa. Elle faisait ce qu’elle voulait, comme elle voulait. Et si l’exposition du LaM est aujourd’hui si réjouissante, c’est sans doute parce que finalement, c’est à travers sa poésie que les commissaires ont trouvé le plus d’instructions pour monter son œuvre…
Article écrit par Valibri en Roulotte