Lumineuse exposition Jean Hugo
A propos de l’exposition « Jean Hugo, le regard magique », visible au musée Fabre de Montpellier jusqu’au 13 octobre.
Pas si simple d'être l'arrière-petit-fils de Victor Hugo ! Toute sa vie, Jean Hugo (1894-1984) a choisi la modestie, au point que son ami Pablo Picasso lui reprochait de ne pas s'être assez « occupé de sa gloire »... Pas étonnant de la part de quelqu’un qui s’occupait à plein temps de la sienne. Mais tout le monde n’est pas obligé de tomber dans l’excès. J’avoue que le tempérament discret d’un artiste me le rend instinctivement plus sympathique. N’empêche que Jean Hugo aurait peut-être pu trouver un entre-deux. Parce qu’aujourd’hui, effectivement, qui connaît son œuvre ?
Personnellement, je ne la connaissais pas assez pour aller tout exprès voir l’exposition qui lui est actuellement consacrée au musée Fabre, à Montpellier, dans le cadre d’une saison-hommage lui étant rendue sur le territoire de l’Hérault à l’occasion du quarantième anniversaire de sa mort, avec aussi une exposition qui a pris place au musée Paul-Valéry de Sète. Sauf que j’ai eu de la chance : ma route passait justement cet été par Montpellier. Et jamais je ne pose ma roulotte là-bas sans aller au musée Fabre, quelle que soit l’exposition temporaire à l’affiche à ce moment-là.
C’est marrant, en lisant le nom de Jean Hugo, j’ai aussitôt pensé à sa femme, l’artiste peintre Valentine Hugo (1887-1968), connue pour son travail avec les Surréalistes et les Ballets russes. Tiens, ça doit être le mari de Valentine Hugo, me suis-je dis. Pour une fois que c’est dans ce sens là, je me suis fait sourire toute seule. J’avoue : ma fille se prénomme Valentine, depuis vingt-six ans je voue donc un intérêt tout particulier à toutes les artistes portant ce prénom, et c’est de surcroît sûrement parce qu’elle était l’amie de Jean Cocteau que j’ai en son temps entendu parler de Valentine Hugo. Après vérification, c’est tout de même bien elle, Valentine née Gross, qui a introduit Jean Hugo dans le milieu artistique parisien des Années Folles. Et non l’inverse.
Bref. Je me suis retrouvée à arpenter par hasard l’exposition « Jean Hugo, le regard magique », réunissant, dans un musée qui a profité de l’occasion pour compléter par de nouvelles acquisitions son fonds Hugo déjà important, plus de 330 œuvres d’art, dont de nombreux prêts d’institutions françaises et étrangères, faisant dialoguer la vie et l’œuvre de l’artiste de 1914 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale avec ses amitiés artistiques. Je crois que j’ai été d’autant plus émerveillée que je n’avais aucune attente ! Comme l’écrit le magazine Connaissance des arts dans son numéro estival, « le musée Fabre déroule le grand parcours de la vie et la carrière du peintre et décorateur de théâtre, mêlé à l’avant-garde littéraire et artistique de l’époque ». Je peux donc désormais que c’est une très belle réussite ! Car on est bien loin de la simple galerie d’art qui alignerait des tableaux à vendre sur ses cimaises. Non seulement le judicieux parcours muséographique permet de rencontrer un personnage vraiment attachant, mais il offre de mesurer graduellement l’ampleur d’une œuvre qui célèbre la nature et l’ordre du monde. La place de Jean Hugo dans l’art contemporain de son temps est en effet vraiment singulière. Car la spiritualité l’inspirait autant que son talent artistique. Il a illustré notamment l’Imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ, traduite par Lamennais, en 1946, et le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, de Charles Péguy, en 1951. On peut citer aussi des tableaux explicites, tel Nathaniel sous le figuier, ou la réalisation de cartons pour des séries de vitraux dans diverses églises.
« Un de ses célèbres tableaux montre les pèlerins d’Emmaüs : deux promeneurs dans un paysage provençal. Si l’on n’a pas le titre, ce n’est pas évident… », explique Florian Michel, historien, professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, membre d’honneur de l’association des Amis de Jean Hugo et vice-président du Cercle d’études Jacques et Raïssa Maritain, qui a collaboré au catalogue de l’exposition. « Telle est sa manière de vivre l’Évangile dans son Hérault où il habite. Son art, par la représentation du jardin, des vignes, des arbres, a quelque chose de biblique qui n’en porte pas toujours le nom. On trouve chez Jean Hugo une certaine exaltation de la création, mais aussi des vertus, d’une harmonie, d’un ordre et d’un sens du travail de la nature dans une proximité avec une agriculture raisonnée, en réaction à un monde industriel et matérialiste. On est aux antipodes des déstructurations du XXe siècle, à la fois sur le plan historique et sur celui de l’histoire de l’art. Jean Hugo montre un monde soigné où la création est reçue pour ce qu’elle est. »
Sa grand-mère ayant toujours interdit l’accès à l’église catholique à toute sa famille, Jean Hugo décidera donc de se faire baptiser en 1931, après que son mariage avec Valentine se soit mis à battre de l’aile, choisissant à partir de là de mener une vie presqu’ascétique au mas de Fourques, à Lunel (34). On comprend mieux pourquoi il ne risquait pas de se préoccuper de sa gloire comme son pote à l’ego démesuré…
Un de ses tableaux intitulé l’Imposteur évoque d’ailleurs ce point : Jean Hugo s’est longtemps vu comme un imposteur au sens où il tournait autour de l’Église, où il la fréquentait sans en être complètement membre. Avec le baptême il s’est senti réconcilié avec lui-même ; c’était la fin de l’imposture.
A partir de là j’ai eu envie de tout savoir sur Jean Hugo. Il se trouve que le biographe Henri Gourdin a écrit un livre sur lui. Ouf. Il n’existe pas de catalogue raisonné des dessins ni des peintures de Jean Hugo, et ses archives ont été dispersées. Il a donc fallu de nombreuses années de recherche à Henri Gourdin, auteur de plusieurs livres sur la saga Hugo, pour dresser un juste portrait de l’artiste. Et l’on découvre, ou redécouvre, qu’avec sa femme Valentine, Jean a connu le Tout-Paris artistique et littéraire des années 1920, fréquentant Cocteau et Éluard, Picasso et Brancusi, Satie et Ravel… C’est par ce biais que sa carrière a décollé : en moins de dix ans, il a conçu les décors et les costumes d’une vingtaine de pièces et de ballets, il a illustré les romans ou poèmes de ses amis écrivains et il a peint des panneaux décoratifs pour des personnalités comme la princesse de Faucigny-Lucinge. Lassé par cette vie mondaine et touché par la foi chrétienne, il se retira en 1930 dans sa maison camarguaise, où il continua à peindre et se lança dans la création de vitraux… sujet d’un second livre du même auteur.
Article écrit par Valibri en Roulotte
Légende photo d'illustration : Jean HUGO, Les Métamorphoses (détail), 1929, tempera sur toile, 32,5 x 53,8 cm, collection privée. ©Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole, photographie : Frédéric Jaulmes. ©Adagp, Paris, 2024