Une exposition ratée ?
A propos de l’exposition « Augustin Rouart en son monde, avec Julie Manet, Berthe Morisot, Maurice Denis… », visible au musée Villa Montebello de Trouville-sur-Mer jusqu’au 22 septembre.
Ceux qui se font rhabiller pour l’hiver par le magazine L’Oeil, ce sont le musée Villa Montebello et le peintre Augustin Rouart (1907-1997), objet à Trouville-sur-Mer d’une exposition encore visible jusqu’au 22 septembre, mais dont le titre, s’il a sûrement alléché les amateurs et critiques d’art, en a forcément déçu plus d’un, tant il est trompeur. Eh oui… Quand on lit « Augustin Rouart en son monde, avec Julie Manet, Berthe Morisot, Maurice Denis… », on s’attend non seulement à voir de nombreux tableaux de ces artistes contemporains de l’époque en question, mais également à en apprendre davantage sur celui dont la renommée est somme toute assez confidentielle, il faut bien le dire. Or, le visiteur du musée Villa Montebello de Trouville-sur-Mer ne trouve ni l’un ni l’autre !
« Sont présentés en tout et pour tout un tableau de Maurice Denis, un de Julie Manet, un de Berthe Morisot et un d’Henry Lerolle », écrit Isabelle Manca-Kunert dans un article d’autant plus amusant à lire cet été qu’il n’est pas si fréquent de tomber sur des critiques négatives au fil des pages de ce magazine d’art. « Tout le reste, ce sont des peintures d’Augustin Rouart (1907-1997) exposées sans aucun propos scientifique. C’est étonnamment une exposition peu rigoureuse pour un musée. Le visiteur est livré à lui-même puisqu’il ne trouve ni cartel développé ni panneau de salle pour en savoir un peu plus sur l’artiste mis en avant. Et qui n’est pourtant pas, à juste titre, des plus connus. » C’est bien entendu le « à juste titre » qui enfonce le clou et m’arrache un sourire… La journaliste n’a en effet repéré dans l’exposition que « quelques toiles valables », en plus d’avoir trouvé navrant que le seul dispositif animant le parcours d’exposition soit « une série de kakémonos reproduisant tantôt un détail agrandi d’une peinture, tantôt un cliché du peintre tenant l’un de ses tableaux encadré de son monogramme, singeant celui d’Albrecht Dürer. » Bref, selon elle, même les grandes galeries d’art font désormais plus d’efforts de médiation. Et selon ma grand-mère, qui n’était pas du tout critique d’art, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.
Mais alors, que s’est-il donc passé à Trouville pour arriver à ce ratage ? L’explication de la journaliste est finalement assez simple. « En dehors de quelques peintures intéressantes, comme Le Nageur et Le Petit Pêcheur, le reste du parcours pèche par son manque d’écrémage. Dans la salle des natures mortes, quelques toiles sont valables, aux côtés d’autres figurant des vases remplis de fleurs et de fruits disposés sans talent ni originalité. C’est bien le problème quand un musée expose en vrac et sans regard critique les œuvres proposées par un ayant droit. » Bam, prend ça dans les dents…
Si Rouart avait été redécouvert et apprécié dans des contextes académiques ou critiques, évidemment, ça aurait pu indiquer une reconnaissance authentique de son talent. Donner lieu à une médiation culturelle documentée. Et faire grimper la cote de ses œuvres d’art à vendre sur le marché de l’art par la même occasion. Or, sa réévaluation semble ici uniquement voulue par ses ayants droit. Ce qui n’est pas un mal en soi, entendons-nous bien. Les dynamiques de promotion posthume sont légitimes et portent souvent leurs fruits. Parfois, des artistes injustement moins connus ou sous-évalués de leur vivant ou dans les décennies qui suivent bénéficient d’une réévaluation tardive, et les efforts des ayants droit peuvent jouer un rôle dans cette réévaluation. Mais il faut qu'il y ait un réel intérêt artistique et critique pour que cela prenne. Et ce sont rarement les ayants droit qui peuvent en juger…
Il est courant que les descendants d’un artiste, qu’il s’agisse de membres de la famille ou d’autres héritiers, cherchent à promouvoir l’œuvre de cet artiste après sa mort. Cela se fait souvent pour plusieurs raisons. Les ayants droit souhaitent préserver l’héritage culturel et artistique de leur aïeul. Ils cherchent à obtenir une reconnaissance institutionnelle et critique, parfois dans l’espoir de le voir entrer dans des collections importantes. Enfin, il est indéniable que la valeur marchande de l’œuvre créée par l’arrière-grand-père ou le grand oncle peut également être une motivation non négligeable. Une meilleure visibilité et reconnaissance peuvent en effet augmenter la valeur des œuvres sur le marché de l’art.
Dans le cas d’Augustin Rouart, il semble que les efforts pour organiser des expositions et promouvoir son œuvre soient en partie motivés par un désir de le faire connaître à un public plus large et de le repositionner dans l’histoire de l’art. Sauf que l'évaluation d’un artiste ne se fait pas seulement par les expositions, mais aussi par leur réception critique et le marché de l’art. Augustin Rouart n’a jamais atteint la même reconnaissance que ses contemporains comme Maurice Denis ou Berthe Morisot, c’est un fait. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Contrairement aux artistes contemporains de son époque par exemple, il n’a pas bénéficié de la même visibilité dans les grands cercles artistiques ou institutionnels. Son style, bien que techniquement solide, n’était peut-être pas non plus assez innovant pour marquer une rupture ou une évolution notable dans l’histoire de l’art.
Il n’empêche qu’on peut reconnaître à Rouart une vraie maîtrise technique, notamment dans le dessin et l’usage des couleurs. Ses compositions sont souvent bien structurées, et il utilise la couleur de manière expressive. Bien qu’il ait été influencé par des mouvements comme le post-impressionnisme et le symbolisme, il a malgré tout développé un style personnel marqué par une sensibilité à la lumière et une atmosphère poétique. Quant à ses thématiques, on constate que Rouart se concentre souvent sur des scènes intimes, des portraits et des paysages, reflétant une vision personnelle du monde qui peut toucher certains spectateurs… mais sembler beaucoup plus conventionnelle à d’autres. Je ne trancherai pas sur la valeur des tableaux d’Augustin Rouart. En matière d’art, il y en a toujours eu pour tous les goûts, et j’espère qu’il en sera toujours ainsi. Je me permettrai par contre, moi aussi, de regretter que l'exposition n'offre pas suffisamment de contextualisation historique et artistique sur Augustin Rouart et ses relations avec les autres artistes présentés. J’aurais adoré comprendre la manière dont Rouart s'intégrait dans le paysage artistique de son temps, ses influences exactes, et comment il interagissait avec les courants artistiques contemporains.
En somme, bien que l'exposition « Augustin Rouart en son monde, avec Julie Manet, Berthe Morisot, Maurice Denis.. » puisse être saluée pour son ambition de mettre en lumière un artiste moins connu et de tisser des liens avec des figures majeures de l'art français, il me semble légitime qu’elle soit également critiquée pour son manque de cohérence thématique et de contextualisation, autant que pour sa scénographie décevante. Eh oui, nous autres visiteurs de musée aimons beaucoup apprendre…
Article écrit par Valibri en Roulotte