Ressusciter la poétique et le merveilleux avec le surréalisme
A propos de l’exposition « Surréalisme, l’exposition du centenaire », à voir au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 13 janvier 2025.
Le centenaire du surréalisme fait la une de tous les magazines d’art, ou presque. Il n’est d’ailleurs pas si courant que le très élitiste magazine d’art contemporain Artpress fasse le même choix éditorial que le (beaucoup) plus populaire Beaux Arts Magazine… D’ailleurs, Artpress a carrément choisi la même œuvre d’art que Beaux Arts Magazine en couverture de son supplément intitulé « Le Paris surréaliste des galeries » : L’ange du foyer de Max Ernst. Logique lorsqu’entre parenthèse le titre de la peinture se complète par Le triomphe du surréalisme…
Bon, il faut dire qu’en prime d’assouvir un besoin urgent de fantaisie par les temps qui courent, la grande exposition présentée au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 13 janvier est la dernière du Musée national d’art moderne avant sa fermeture pour cinq ans. Et comme elle ne manque pas de matière, l’encre peut donc facilement couler à flots. Ce qui est somme toute assez cocasse, à plus d’un titre, quand on sait que cet anniversaire est au fond celui d’une « simple » préface, celle qu’André Breton rédigea pour son recueil de poèmes intitulé Poisson soluble, paru en 1924. Et que l’écrivain français se faisait le chantre de l’ombre et des coulisses plutôt que du feu des projecteurs, voyant dans ce mouvement rebelle l’antithèse de la glorification et de la célébration. Surtout par le milieu institutionnel ! Mais la vie artistique n’est-elle pas ainsi faite qu’elle récupère tout ce qui lui tombe sous la main pour en faire de grandes théories… et alimenter le marché de l’art en même temps que les débats ? La « simple préface » est ainsi devenue le célèbre Manifeste du surréalisme, occultant d’ailleurs complètement les poèmes qu’elle était sensée accompagner, et le manuscrit trône aujourd’hui en version originale au cœur du parcours de « Surréalisme, l’exposition du centenaire ». On ne risque pas de s’en plaindre, vu qu’il y a encore plein de choses à apprendre de cette aventure ! Mais avouez que c’est tout de même très surréaliste…
Conçue à la façon d’un labyrinthe, l'exposition « Surréalisme » est une plongée inédite dans l’exceptionnelle effervescence créative du mouvement. Associant peintures, sculptures, objets, films, photographies et littérature, l’exposition présente les œuvres d'artistes emblématiques comme Salvador Dalí, René Magritte, Dora Maar ou Leonora Carrington, mais aussi celles, moins connues, d’artistes internationaux comme Remedios Varo, Ithell Colquhoun, Hector Hyppolite ou Tatsuo Ikeda.
Compte tenu de mon préambule, on ne s’étonnera pas que la première question posée à Didier Ottinger, commissaire de l’exposition avec Marie Sarré, par Mariia Rybalchenko, assistante de direction à Artpress, soit bien entendu la suivante : « N’est-ce pas un paradoxe de célébrer les 100 ans d’un mouvement qui a toujours contesté l’ordre dominant ? » Ce à quoi le directeur adjoint du Musée national d’art moderne répond par une jolie pirouette : « Cette question concerne à peu près toute l’histoire de l’art moderne qui se confond avec l’enchaînement d’avant-gardes contestant l’ordre culturel établi. L’institution peut-elle intégrer ce qui, par nature, la conteste ? » Voilà qui au passage me rappelle le sujet traité récemment pour vous dans ces pages, concernant le street art au musée, à l’occasion duquel on s’interrogeait sur le paradoxe d’un art de la rue pavoisant soudain sur des cimaises entre quatre murs… Difficile en effet pour un être humain qui n’a pas l’intention de mourir de faim de créer des œuvres d’art sans qu’elles ne deviennent un jour des œuvres d’art à vendre !
« L’histoire du surréalisme s’est écrite en dehors de l’institution. Dans les années 1930, il n’existait pas, dans le contexte français, de musées susceptibles d’accueillir l’art moderne », poursuit Didier Ottinger. « L’histoire du surréalisme s’est écrite dans des galeries, et ceci même après la Seconde Guerre mondiale alors qu’existaient des institutions vouées à cet art moderne. Quand, en 1926, le surréalisme veut affirmer son existence, que font ses membres ? Ils exposent en galerie. » Et toc.
Les galeries d’art Goemans, Ratton, Wildenstein, Maeght, Cordier… pas une qui y échappe en France ! Et aux Etats-Unis, c’est le musée de Hartford qui organise la première exposition surréaliste sur le sol américain en 1931, avant que le MoMa ne prenne le relais en 1936 avec Fantastic Art, Dada, Surrealism : une exposition à laquelle André Breton lui-même collabore. Non sans réticence, certes, mais il y collabore. Didier Ottinger d’en conclure avec raison que « le hiatus entre surréalisme et institution n’est donc pas de nature ontologique, mais une question de contexte et de situation historique. » Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le Centre Pompidou s’est adjoint le soutien de nombreuses galeries d’art parisiennes pour célébrer ce centenaire. Comme le précise Marie Sarré, « André Breton, à lui seul, a ouvert trois galeries : La Galerie surréaliste, rue Jacques Callot, en 1926, la galerie Gradiva en 1937 et la galerie A l’Etoile scellée en 1952. Il nous est rapidement apparu essentiel de rendre compte de cette effervescence et d’associer les galeries parisiennes à la célébration du centenaire. Cette collaboration, pratiquement inédite, organisée en partenariat avec le Comité professionnel des galeries d’art, rassemble plus de quarante galeries et librairies : non seulement des expositions historiques, monographiques ou thématiques, mais aussi des contrepoints contemporains qui témoignent de l’actualité du mouvement surréaliste, de l’urgence, pour un grand nombre d’artistes, de ressusciter aujourd’hui la poétique et le merveilleux surréaliste. »
Et Didier Ottinger d’ajouter que « cette collaboration entre le réseau des galeries parisiennes et une institution nationale a été déjà réalisée par le Palais de Tokyo, elle portait sur l’art contemporain. Dans le domaine historique, je ne vois pas d’antécédent à la collaboration que nous avons mise en place avec le Comité des galeries. Le surréalisme se prête peut-être naturellement à ce type de relation. D’une façon plus globale, il est peut-être temps de reconsidérer les relations entre l’institution et « la marché de l’art », d’aborder cette question sans a priori, et de façon transparente. » Finalement, dans un monde où désormais tout s’achète, peut-être qu’un jour les musées aussi vendront des œuvres d’art…
Mais revenons-en au surréalisme en tant que mouvement artistique. L’exposition s’arrêtant en 1969, on est en droit de se demander en quelle année il est réellement mort. « En 1966, à la mort d’André Breton, les surréalistes s’interrogent sur la survivance du mouvement », rappelle Marie Sarré. « Jean Schuster prononce sa dissolution officielle le 4 octobre 1969 dans un article intitulé « Le Quatrième Chant ». Peut-on dire que le surréalisme est mort pour autant ? Il suffit de regarder son actualité dans l’art contemporain, non seulement dans les arts plastiques, mais aussi au cinéma. » Le surréalisme est mort, vive le surréalisme !
Article écrit par Valibri en Roulotte
Illustration : Max Ernst, « L'ange du foyer (Le triomphe du surréalisme) », 1937 © Adagp, Paris. Vincent Everarts Photographie