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L’as du détournement
las-du-detournement - ARTACTIF
Novembre 2024 | Temps de lecture : 27 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’œuvre de Pascale Marthine Tayou, à voir à Reims (51) dans l’exposition collective « Conversations with nature » chez Ruinart à partir du 5 octobre, mais également au Domaine de Chaumont-sur-Loire (41) jusqu’au 27 octobre.

Je raffole des visites d’ateliers d’artistes… Si vous aussi ça vous inspire, je vais vous gâter avec celle que la journaliste Elisabeth Couturier a faite de celui de Pascale Marthine Tayou, dont elle rend compte dans le numéro de septembre de Connaissance des arts. Quand on a déjà vu ses Totems en cristal, ses Petits Riens multicolores, ses Routes du paradis en pavés badigeonnées, ses farandoles de calebasses ou ses installations de sacs en plastique, on se doute bien que l’atelier de cet artiste contemporain, né au Cameroun en 1966, doit être assez phénoménal. Mais ici l’imaginaire n’est rien par rapport à la réalité !

Aujourd’hui, Pascale Marthine Tayou vit et travaille à la fois à Gand et à Yaoundé. C’est en Belgique que Connaissance des arts est allé le rencontrer. Et comme l’écrit d’emblée Elisabeth Couturier, « on hésite à nommer « atelier » le lieu où nous reçoit Pascale Marthine Tayou à Gand, ville où il réside depuis plus de vingt ans. A première vue, cela tient à la fois de l’entrepôt Ikea, de la brocante et du bureau des objets trouvés ! » C’est qu’il en faut, de l’espace, pour accumuler l’incroyable quantité de choses hétéroclites qu’il récupère dans tous les pays qu’il traverse pour pouvoir « faire sa soupe », explique-t-il en riant à la journaliste pour parler de ses œuvres d’art à vendre. Que s’arrachent les galeries d’art. Car depuis le début des années 1990 et sa participation à la Documenta 11 (2002) de Kassel et à la Biennale de Venise (2005 et 2009), Pascale Marthine Tayou est connu d’un si large public international qu’il affole le marché de l’art contemporain. Il ne cesse plus de parcourir le monde et d’installer un peu partout des œuvres monumentales, clignotantes, toujours bariolées… et toujours politiques. Son travail artistique se caractérise par sa variabilité, ne se limitant pas à un médium ou à une thématique.

On comprend dès lors que dans les six mille mètres carrés de l’ancienne usine de sidérurgie qui lui tient lieu d’atelier s’entassent « des caisses contenant des œuvres en transit entre deux musées, des travaux d’époques différentes et divers éléments disparates, comme des figurines en fil de fer, des paniers d’osier, des calebasses, des pavés colorés, ses propres peintures, photos et sculptures récentes, ou encore des tissus posés ça et là. La poussière recouvre d’un léger voile certains endroits, plus encombrés que d’autres. On imagine la personne chargée du ménage tremblant à l’idée même de vider la corbeille à papiers ! »

Dès le début de sa carrière, Pascale Marthine Tayou a ajouté un « e » à son prénom et à son deuxième prénom pour leur donner une consonance féminine, se démarquant ainsi ironiquement de l’importance de la paternité artistique et des attributions masculines/féminines. « Son désir d’enjamber les frontières, de perturber les catégories esthétiques et les repères culturels n’a d’égal que son génie des associations remarquables », écrit la journaliste du magazine d’art, visiblement complètement sous le charme. On la comprend. En plus d’être talentueux, d’avoir une sorte d’œil absolu apte à percevoir l’œuvre d’art qui fera mouche dans l’assemblage d’un bric à brac informe, le bonhomme est généreux et plein d’humour. Comme lorsqu’il raconte qu’il collectionne les petites entreprises. « Lorsque je suis en Afrique, il m’arrive d’acheter des paniers remplis d’objets usuels (kleenex, chewing-gums, stylos-bille, sacs plastique, etc.) portés sur la tête par des femmes ou des adolescents qui marchent toute la journée. J’achète tout le stock. Stupéfaction ! Panique ! Ils pensent d’abord que je suis un sorcier qui veut acheter leur âme. Et puis leurs yeux brillent : ils ont gagné en quelques minutes une somme inespérée ! C’est ma façon à moi de rendre un peu ce qu’on m’a donné, car j’ai eu beaucoup de chance. »

Même si elle est étroitement liée à l’idée de voyager et d’entrer en contact avec ce qui est autre que soi, l’œuvre de Tayou n’est pas seulement médiatrice entre les cultures, ou entre l’homme et la nature : elle est faite de constructions sociales, culturelles ou politiques. Les objets, sculptures, installations, dessins et vidéos produits par Tayou ont un point commun récurrent : ils évoquent un individu qui se déplace à travers le monde et explore la question du village global. C’est dans ce contexte que Tayou négocie ses origines africaines et les attentes qui y sont liées. « Doué pour aborder avec finesse des problématiques anxiogènes comme la crise écologique, la mondialisation ou les questions postcoloniales, Tayou adjoint à la beauté des formes ce qu’il faut d’humour et de poésie pour capter l’attention », constate Elisabeth Couturier. « Ses branches suspendues dont il remplace les feuilles par des sacs de plastique de couleurs vives ou par des bouteilles d’eau jetables, les mêmes qui polluent les fleuves et les mers, invitent à une aérienne prise de conscience. Et ses arbres à palabres, réalisés avec de longues lianes de papiers déchiquetés par des broyeuses, montrent combien les échanges oraux priment sur le poids des documents administratifs qui étouffent la parole. Sans s’appesantir, il évoque la christianisation à marche forcée de l’Afrique par un chemin de croix composé de crucifix faits de statues de colons, et souligne les heures sombres des bateaux négriers avec des morceaux de grosses chaînes noires posées au sol. Ses mappemondes de paquets-cadeaux, ses enseignes lumineuses affichant le mot « ouvert » dans toutes les langues, ou encore ses labyrinthes constitués de multiples drapeaux nationaux, parlent de la condition humaine universelle, sa principale préoccupation. »

En quittant cet atelier hors norme, on pense forcément à l’artiste ghanéen El Anatsui, qui utilise également des matériaux recyclés et des objets trouvés pour créer des œuvres monumentales explorant l'histoire coloniale, la consommation et la globalisation. Mais aussi à Yinka Shonibare, l’artiste britannique d'origine nigériane qui, comme Tayou, s'intéresse aux questions postcoloniales et identitaires en utilisant des matériaux chargés de symbolisme culturel, comme le wax (tissu africain), pour questionner l'hybridité culturelle. A Boris Nzebo également, l’artiste camerounais qui explore les thèmes de l'identité africaine urbaine et l'influence de la culture populaire. Leurs pratiques partagent une sensibilité commune à la fois visuelle et politique, bien que Tayou soit plus ancré dans l'art conceptuel et les installations. Quant à l’artiste plasticien Thomas Hirschhorn qui utilise des objets du quotidien et des matériaux recyclés pour créer des installations engagées, il a beau n’être que Suisse d’origine suisse, il n’en demeure pas moins qu’il partage avec Tayou un intérêt pour la surcharge d'objets et la déconstruction des significations culturelles, avec un fort engagement politique.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

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