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Le pape des collectionneurs
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Novembre 2024 | Temps de lecture : 30 Min | 0 Commentaire(s)

A propos de l’exposition « Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse » visible jusqu’au 5 janvier au musée Jacquemart-André, à Paris.

Aviez-vous déjà pensé à l’étymologie du mot népotisme ? Personnellement non. Mais elle m’est revenue de plein fouet en visitant l’exposition du musée Jacquemart-André, à Paris, consacrée aux chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse. Des chefs-d’œuvre si nombreux et si époustouflants qu’on ne peut pas s’empêcher de trouver tout de même un peu bizarre qu’ils aient tous appartenu au même homme, aussi riche soit-il, même si ça se passe au XVIIe siècle. Tout en sachant que ce mot est utilisé pour désigner une pratique consistant à favoriser ses proches, notamment dans l'attribution de privilèges ou de postes d'autorité, observée au sein des institutions ecclésiastiques historiques et étendue par analogie à tout favoritisme familial ou amical, je n’avais jamais songé que le mot italien nepotismo, né au XVIIe siècle justement, vient de nepote en italien, et de nepos en latin, ce qui signifie « neveu »… Scipion Caffarelli-Borghese (1577-1633), ni plus ni moins neveu du pape Paul V, en est littéralement l’incarnation ! Tous les passe-droits lui ont été bons pour enrichir sa collection personnelle. En gros, pas une œuvre d’art à vendre sur le marché de l’art contemporain du XVIIe siècle ne lui a échappé ! Et si les galeries d’art avaient existé, nul doute que le neveu du pape aurait eu un droit de véto avant tout autre acheteur d’œuvres d’art.

Bref, celui que l’on a baptisé le Prince du Siècle des Lumières ne savait sûrement pas ce que le mot scrupule veut dire… mais ils sont légion à en faire autant, même sans être neveu de pape ! Et la journaliste Sophie Flouquet de se demander, dans son article pour le numéro de septembre de Beaux Arts Magazine, « comment cette spectaculaire Madone des palefreniers signée Caravage, alliant une grande délicatesse à de stupéfiants effets de clair-obscur, conçue pour être le tableau d’autel d’une chapelle de la basilique Saint-Pierre de Rome, peut-elle faire partie d’une collection civile, son propriétaire fut-il cardinal ? » Avant de nous donner la réponse : « Par un savant mélange entre détermination et opportunisme… autant de talents que Scipion Caffarelli-Borghèse réunissait avec un certain brio, surtout lorsqu’il s’agissait d’enrichir sa collection personnelle. » Et d’ajouter que l’homme « se démena en effet durant toute sa carrière pour réunir quelques-uns des plus beaux chefs-d’œuvre de son temps, tous savamment mis en scène dans sa grande demeure de la campagne romaine, la Villa Borghèse. » Non sans que Francesca Cappelletti, directrice aujourd’hui de ce lieu magique à Rome, ne souligne qu’il «  a été conçu par Scipion dès sa contruction avec l’ambition de satisfaire non seulement son propre plaisir mais aussi celui de tout hypothétique visiteur », constituant finalement « une sorte de musée précurseur ».

Allez zou ! Un peu d’histoire. Scipion Borghèse, plus connu sous le nom de Scipione Borghese, est une figure incontournable de l’histoire italienne du XVIIe siècle. Héritier d'une dynastie prestigieuse, il a su transformer le patrimoine familial en un véritable empire artistique et diplomatique, contribuant à la grandeur de Rome et de la papauté. Mais qui était vraiment Scipion Borghèse, cet homme qui a façonné l'histoire de l'Italie et de l'Europe ? Né en 1577, Scipion Borghèse est, on l’a vu, le neveu du pape Paul V, élu en 1605. Grâce à cette alliance papale, il reçoit rapidement le titre de cardinal alors qu'il n'a que 27 ans. Cela va propulser sa carrière dans la haute sphère ecclésiastique et politique romaine. Scipion n’est pas simplement un homme d’Église ; il est avant tout un homme de pouvoir, fin stratège et diplomate habile. Il comprend que pour s'imposer, il doit non seulement renforcer son influence religieuse, mais également asseoir sa renommée à travers des projets ambitieux.

Le mécénat et la collection d’art seront la passion de sa vie. Fasciné par la beauté et le génie créatif de son époque, il devient l’un des plus grands mécènes de la Renaissance tardive et du début de l’époque baroque. Sa passion pour l'art contemporain de son temps transparaît dans sa vaste collection, qu’il constitue avec une attention méticuleuse et un goût prononcé pour l'innovation. Son nom est à jamais associé à la Villa Borghese, palais somptueux qu'il fait construire et qui deviendra le cœur de sa collection. Sous sa direction, des artistes de renom tels que le Caravage et le sculpteur Bernini, plus connu sous le nom du Bernin, voient leurs œuvres enrichir la collection Borghèse. C’est grâce à Scipion que des chefs-d’œuvre comme David et Apollon et Daphné, du Bernin, ont vu le jour. Comme on l’a dit plus haut, l’homme influent n’hésite pas à user de son pouvoir pour acquérir les pièces qu'il désire, parfois par des méthodes peu scrupuleuses, comme lorsqu'il s’empare de plusieurs œuvres de Raphaël destinées à d’autres collectionneurs.

La Villa Borghese, située dans les jardins verdoyants au nord de Rome, n’est pas seulement une résidence de luxe, mais un véritable temple dédié aux arts. Scipion fait appel aux meilleurs architectes et artistes de son temps pour transformer ce joyau architectural, où chaque pièce raconte une histoire, en un lieu à la gloire de la famille Borghèse. La spectaculaire galerie du même nom, où le public se presse en masse aujourd’hui tant elle abrite de tableaux, sculptures et antiquités, est un témoignage vivant de son obsession pour l’art. Comme l’écrit la journaliste de Beaux Arts Magazine, « le musée Jacquemart-André a saisi la formidable opportunité de la campagne de travaux du musée romain, d’ordinaire moins généreux en prêts, pour faire venir quelques-uns de ces chefs-d’œuvre à Paris. » Raphaël et Caravage, certes, mais aussi Botticelli, Ghirlandaio, Véronèse ou Titien… C’est simple : ceux qui ne sont pas là étaient tout simplement trop grands pour les salles du musée français !

Chaque œuvre d’art était choisie par Scipion pour sa beauté, mais aussi pour sa capacité à représenter la grandeur de la papauté et de la famille Borghèse. C’est en cela qu’il ne se contente pas d’être un simple collectionneur, mais devient un curateur visionnaire, donnant une cohérence et une signification à chaque acquisition.

Si Scipion Borghèse est admiré pour son goût exquis et sa capacité à capter les talents de son temps, il n'en demeure pas moins une figure controversée. En tant que cardinal, il a été accusé de corruption et de népotisme : ah tout de même, il y a une forme de logique ! En outre, son penchant pour l’accumulation d’œuvres d’art lui a valu quelques inimitiés, notamment lorsqu’il n’hésitait pas à confisquer des œuvres pour les intégrer à sa collection personnelle. N’empêche qu’aujourd'hui, le nom de Scipion Borghèse est indissociable de la splendeur artistique de la Rome baroque.

Personnage fascinant aux multiples facettes, Scipion Borghèse incarne à lui seul l’esprit du baroque italien : un mélange de puissance, de démesure et de passion. Son héritage culturel et artistique fait de lui l’un des grands bâtisseurs de l’histoire italienne, et son nom résonne encore aujourd’hui à travers les siècles comme un symbole de raffinement, de pouvoir et d'ambition. Le Cardinal Borghèse, en érigeant sa collection et en soutenant les artistes les plus talentueux de son époque, a démontré qu’au-delà des intrigues politiques et religieuses, l’art pouvait être une arme aussi puissante que la foi.

 

Valibri en RoulotteArticle écrit par Valibri en Roulotte

 

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