Un musée britannique sans murs
A propos du British Council qui fête ses 80 ans en France et de sa collection itinérante d’œuvres d’art.
Grâce à l’« Histoire du mois » racontée par le numéro de septembre de Beaux Arts Magazine, je me suis prise de passion pour le British Council. Non, pas pour rafraîchir mon anglais, même s’il en aurait effectivement bien besoin, mais pour sa collection d’œuvres d’art… dont j’ignorais complètement l’existence ! Je ne sais pas pourquoi, j’avais seulement en tête que des expositions temporaires étaient parfois proposées dans ce lieu connu pour ses cours de langue, comme le Goethe Institut avec l’allemand… Heureusement que l’institution fête ses 80 ans pour que j’en apprenne enfin plus sur elle, car entre scandales et succès diplomatiques, voilà une histoire qui tisse des liens passionnants entre art et géopolitique.
La collection d’œuvres d'art du British Council qui fête ses 80 ans de présence en France fait partie d'une initiative plus large du British Council à travers le monde pour promouvoir l'art et la culture britannique. Cette collection, qui s’est constituée dès la fin des années 1930 face à la montée du fascisme, est carrément devenue l'une des plus importantes collections publiques d'art contemporain britannique en dehors du Royaume-Uni ! Elle compte plus de 8500 œuvres d’art, et couvre un large éventail de médiums : peinture, sculpture, dessin, photographie, vidéo et arts graphiques. Parmi les artistes les plus notables dont les œuvres figurent dans cette collection, on retrouve des noms tels que Lucian Freud, connu pour ses portraits intenses, David Hockney, avec ses explorations de la lumière et du portrait, Francis Bacon, célèbre pour ses représentations déformées et puissantes de la figure humaine, Henry Moore, qui a influencé la sculpture moderne, ou Barbara Hepworth, sculptrice abstraite renommée. Excusez du peu !
Le British Council acquiert ces œuvres directement auprès des artistes ou des galeries d’art, souvent au début de la carrière des créateurs, ce qui permet à la collection de révéler les tendances émergentes de l’art britannique : ce qui est son but au départ. La collection d'art du British Council vise en effet à « présenter l'évolution de l'art britannique moderne et contemporain, en exposant des œuvres d'artistes renommés et émergents ». L'idée est de favoriser les échanges culturels entre le Royaume-Uni et les autres pays, notamment la France, en organisant des expositions, des prêts et des événements autour de ces œuvres. La présence du British Council en France, qui remonte à l'entre-deux-guerres, s'inscrit dans une démarche de diplomatie culturelle visant à tisser des liens entre les deux nations à travers l'art et la culture.
Evidemment, lorsque le comité des Beaux-Arts du British Council s’est réuni pour la première fois en 1935, il ne comptait que des hommes. Chevaliers du Royaume Uni, éminents professeurs et directeurs de musée, ces messieurs « avaient pour mission de sélectionner des œuvres auprès des musées nationaux et des collectionneurs privés afin de monter des expositions destinées à mettre en valeur, à l’étranger, les talents britanniques », nous rappelle Jordane de Faÿ dans Beaux Arts Magazine. Des fonds modestes ne permettaient d’ailleurs d’organiser que tous les deux ans une seule grande exposition, mais le comité du British Council était également en charge de la sélection officielle du pavillon britannique de la biennale de Venise, et de l’Exposition universelle de New York… Dont le thème en 1939, « Le monde de demain », fait aujourd’hui froid dans le dos. Il n’empêche que le roi anglais Georges V et le président Franklin Roosevelt sont tous deux venus voir l’exposition, qui s’ouvrait par une imposante inscription évoquant « une paix et une amitié durables entre les peuples des Etats-Unis d’Amérique et de l’Empire britannique ».
Tous les pays vont peu à peu solliciter le British Council pour prêter des œuvres d’art à des expositions temporaires, ce qui l’incite rapidement à se doter d’une collection propre. Le mécénat permettra d’acheter des œuvres d’art bon marché, reproductibles et de taille modeste, comme des lithographies, des aquarelles, des dessins, des estampes ou des gravures, afin de leur permettre de faire le tour du monde… sans forcément pouvoir revenir. C’est fou de lire aujourd’hui des notes griffonnées à côté du nom des œuvres d’art achetées, dans les premiers registres de la collection : « Perdue en Ouganda », « Volée en Argentine », « Détruite par le feu à Lahore », « Détruite lors d’émeutes civiles à Chypre »… En plus d’être émouvante, l’histoire de la collection d’œuvres d’art du British Council est, comme l’écrit Jordane de Faÿ, « autant une histoire de l’art moderne et contemporain qu’une histoire de rencontres et d’affrontements géopolitiques ».
Les sculptures de Henry Moore arrivent ensuite, devenant les symboles de la reconstruction d’une Europe encore marquée par les décombres de la guerre et séparée par un rideau de fer, comme les peintures de Graham Sutherland, dont les piliers et rouages électriques de la toile Thorn Trees évoquent la forme du champignon nucléaire. Quant aux gravures de David Hockney sur lesquelles deux jeunes hommes nus sont au lit, elles font bien des remous en 1968 au musée d’art moderne de Mexico à l’occasion des Jeux olympiques… et ne reviendront qu’un demi-siècle plus tard, au moment de la légalisation du mariage homosexuel au Mexique. Et les choix du British Council choqueront encore en France en 1979, lorsque l’ambassadeur britannique à Paris assista médusé au final de la performance de Kevin Atherton, l’artiste plasticien se retrouvant entièrement nu. Tant pis pour l’ambassadeur ! « L’art fait son meilleur travail lorsqu’il explore nos faiblesses, soutient alors le directeur de la collection, John Burgh. Les relations culturelles recherchent une compréhension mutuelle et encouragent toutes les activités représentatives de la société et de la culture, et pas seulement celles qui sont flatteuses et qui ne dérangent pas. » N’empêche que les 60 artistes exposés cette année-là étaient blancs…
Enfin, « dans les années 1990 puis 2000, les acquisitions d’artistes noirs et des créatrices femmes prennent de l’importance », constate la journaliste. Sonia Boyce, Tracey Emin, Sarah Lucas, Lubaina Himid… La collection itinérante compte aujourd’hui 8500 œuvres d’art, dont en moyenne un tiers est prêté chaque année à des musées et des centres d’art internationaux.
La présence de cette collection en France contribue bien entendu à renforcer les liens culturels et diplomatiques entre la France et le Royaume-Uni, même en dehors des relations politiques. Ce qui est particulièrement précieux depuis le Brexit. On appelle ça de la diplomatie culturelle. En utilisant l'art comme un langage universel, on favorise la compréhension mutuelle et les échanges créatifs entre les deux pays. A la biennale de Lyon par exemple, c’est grâce au British Council que les Français pourront rencontrer l’œuvre d’artistes contemporains britanniques comme Jeremy Deller, Oliver Beer et Grace N’diritu… entre autres.
Article écrit par Valibri en Roulotte
Illustration : Carte postale commémorative du pavillon anglais à l’Exposition universelle de 1939, New York