Lu pour vous dans ART PRESS
Méga-galeries et méga galères
C'est évident, le monde des galeries en France a subi une véritable révolution au cours des années 2000. Où en sont-elles aujourd'hui ? Pour faire le point , Art Press a rencontré l'économiste Nathalie Moureau à l'occasion de la sortie du livre Histoire des galeries d'art en France du 19e au 21e siècle dans lequel elle signe un texte intitulé Le temps des galeristes qui couvre la période allant de 1980 à aujourd'hui. Pour elle, cet intervalle comprend deux périodes bien distinctes. La première démarre avec la création des fonds régionaux d'art contemporain (Frac) consécutive à l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Cette création s'est inscrite dans le vide ambiant d'un marché sans grands collectionneurs privés à la différence de nos voisins comme l'Allemagne et l'Italie avec notamment et respectivement Peter Ludwig et la famille Panza. Critiqué pour produire des artistes « officiels », ce système institutionnel n'en a pas moins fonctionné pour donner une visibilité à l'art contemporain français y compris jusqu'à l'étranger. Les galeries françaises se sont adaptées à cette nouvelle donne sans changer cependant de modèle économique. Tout s'est modifié ensuite autour des années 2000 avec l'apparition de « méga-galeries » et l'ouverture par des Gagosian ou Hauser&Wirth d'antennes hors de leurs frontières. Ce mouvement a pris de l'ampleur, ce qui a bouleversé le modèle hérité de Leo Castelli d'une internationalisation par réseau aux liens plus lâches dans laquelle les galeries collaboraient avec des correspondants à l'étranger. L'écosystème des galeries françaises s'est en fait totalement modifié en quarante ans avec l'investissement des l'art contemporain par des maisons de ventes, le développement des foires, l'augmentation du nombre de collectionneurs et… Internet. Ce sont dans les faits les maisons de ventes qui s'avèrent la principale concurrence des galeries. Mais les galeristes français en vue n'hésitent pas à employer les armes de leurs rivales y compris les ventes aux enchères permettant de faire monter rapidement la cote de jeunes artistes. La différence de fortune des galeries à taille humaine et des méga-galeries est également flagrante dans le monde des foires où les secondes bénéficient de façon régalienne des meilleurs emplacements face aux structures de plus petite taille quand ces dernières ont la chance et l'honneur d'être acceptées, ce qui constitue un signe fort de qualité pour le public. Mais les choses changent car les foires sont elles-mêmes menacées dans leur essence du fait de l'image polluante des déplacements qui leur sont consubstantiels. Nathalie Moureau distingue trois types d'acteurs sur le marché selon leur chiffre d'affaires, leur présence dans les grandes foires et la promotion qu'elles parviennent à assurer à leurs artistes maison : les galeries fleurons, les pivots et les confidentielles. Elle n'en souligne pas moins que ces dernières participent également à la vitalité du marché. Le rôle phare de Paris reste prépondérant depuis les eighties. Avènement du centre Pompidou, renouveau de la Fiac, ouverture du Palais de Tokyo… Paris est devenu une place plus attractive. Les institutions privées se sont multipliées et de grosses galeries internationales ont investi les lieux. L'apparition de grands collectionneurs privés comme François Pinault et Bernard Arnault a enfin joué un rôle certain sur ce point. Difficile de déterminer cependant pour l'économiste si cette émulation a bénéficié aux galeries de petite taille. Reste à juger des effets pour l'ensemble du marché des modifications du système de taxation et de l'impôt de solidarité sur la fortune dont le spectre s'agite aujourd'hui. La question des loyers explique également les déplacements opérés sur Paris au profit des trois secteurs : Matignon, Saint-Germain et surtout le Marais. Mais ce sont à présent les hôtels de luxe et les maisons de ventes qui se trouvent en pole position. Parallèlement, la décroissance des finances des musées depuis les années 80 et 90 a conduit ces derniers a établir des partenariats avec les galeries pour boucler le budget de maintes expositions. Mais ceci renforce nécessairement la capacité des méga-galeries à privilégier la promotion de leurs propres artistes. Des quotas relatifs à la taille des galeries partenaires seraient en ce sens une bonne chose en termes d'équité. De façon symétrique, se pose aussi la question du prêt par les musées d'œuvres aux galeries aujourd'hui encore interdit. Les méga-galeries disposent déjà de nombre d'atouts pour concurrencer les musées. De la surface d'exposition à la visite guidée en passant par des ateliers de pratique artistique, des cafés-épiceries, des librairies et des boutiques vendant produits dérivés et goodies. La tentation de se poser en institution culturelle, pôle de recherche voire centre universitaire commence déjà à poindre. Autre évolution majeure : la communication avec, naturellement, le développement du numérique et des réseaux. Nathalie Moureau évoque sur ce point la nécessité de se donner une visibilité par des œuvres monumentales et de l'évènementiel mais aussi le risque de laisser la gestion de sa réputation s'échapper et de voir le médiatique l'emporter sur l'artistique. Passées maîtres dans l'art de gérer leur activité éditoriale, les méga-galeries en sont à tout mettre en œuvre pour devenir de véritables marques. Une question demeure : quels bénéfices les artistes français retirent-ils de cette montée en puissance des méga-galeries et galeries moyennes jouissant d'une bonne visibilité ? Une chose est certaine, à la différence de ce qui se passe dans les pays voisins, les artistes français sont sous-représentés par rapport à leurs homologues étrangers dans l'offre globale des galeries de l'Hexagone à l'intention de l'international. Signe d'ouverture ou complexe d'infériorité ?
Illustrations : Nathalie Moureau
Figures de la nouvelle peinture
Entre 2000 et 2020, la peinture et notamment la peinture figurative étaient jugées ringardes par l'art contemporain. À de rares exceptions près comme l'exposition Urgent painting en 2001 et My Favorite thing ! La peinture en France en 2005, ce fut une véritable traversée du désert. Tout n'était que photographie, art vidéo et art post-duchampien. Aujourd'hui, ce sont ses détracteurs d'hier qui se font les champions du retour en grâce de la peinture figurative. Les écoles d'art s'y remettent. Les collectionneurs en redemandent. L'avènement de Paris au rang de première place européenne et l'afflux de collectionneurs du monde entier amateurs principalement de peinture ne sont pas indifférents à la montée en puissance de la peinture « classique » dans l'Hexagone. Et les musées ont emboîté le pas des galeries. Les parcours curatés créés par Art Paris participent naturellement du même mouvement d'anoblissement comme c'est également le cas au MO.CO. de Montpellier. Une chose est sûre, d'un point de vue historique, il serait bon de passer cette peinture oubliée au crible d'une analyse formelle et théorique permettant de dégager les lignes de force continues entre avant-hier et aujourd'hui.Ne serait-ce que pour éviter d'avoir l'impression de réinventer la peinture à l'eau chaude. Mais que révèlent sur notre époque les jeunes peintres d'aujourd'hui ? Beaucoup d'autoportraits « plus ou moins symboliques ou réalistes d'une génération qui se cherche » selon Art Press. La résilience du médium est elle aussi mise au premier plan dans son rapport à la lumière et à la matérialité. Comme un refuge face à la montée en puissance de l'Intelligence Artificielle générative. Cheffe de file de cette nouvelle génération adoubée par Pinault autant que par Orsay, Nathanaëlle Herbelin s'est distinguée par le dialogue qu'établit sa peinture avec des œuvres de Bonnard, Vallotton et Vuillard. Etrange filiation avec des peintres qui ne se reconnaissaient pas de passé. Cette « contemporanisation », en forme de réinterprétation stylistique dont fleurissent de nombreux autres exemples dans la nouvelle génération ne casse aucun code. Quelles différences avec des images d'Instagram s'interroge Art Press ? La virtuosité technique de Jean Claracq, Romain Ventura , Laurent Prou et Adrien Belgrand trouve grâce aux yeux de cette critique. C'est « très personnel et reconnaissable ». Pareil pour Marine Wallon et Clara Bryon qui interrogent la frontière entre abstrait et figuratif. Est également vantée la « fouge formelle » de Dora Jeridi et Apolonia Sokol. C'est finalement sur leurs différences que devrait être mis l'accent en évitant les rassemblements purement générationnels dans lesquels tout se mêle. Ne serait-ce que pour éviter toute tentation de simple effet de mode.
Illustrations : Nathanaëlle Herbelin (1989)
Emmanuelle et Efi, 2024
© Courtesy de l'artiste et de la Galerie Jousse Entreprise/ Photo : Objets pointus/ © Adagp, Paris, 2024
Article écrit par Eric Sembach