
Capté pour vous dans BEAUX ARTS

Les six œuvres de 2024
De l'année qui s'achève, Beaux Arts retient six chefs-d'œuvre. Passage en revue de cette short list aussi étroite qu'éclectique et volontiers pile primitive et face high tech. Tout commence avec…
• Resonance Project : The Cave. Nous sommes en Dordogne dans la vallée de la Vézère entre les parois décorées de la grotte préhistorique de Font-de-Gaume. C'est là que les chanteurs et chanteuses invités par le plasticien britannique Oliver Beer ont enregistré leur plus ancien souvenir musical. Ces comptines venues de France comme du Liban, d'Haïti ou d'Australie ont été entremêlées pour former une polyphonie d'une trentaine de minutes formant la bande son, comme issue des temps les plus reculés, de huit vidéos immersives qui plongent les visiteurs dans une ère première, une caverne originelle, une histoire d'avant l'Histoire. Cette expérience intitulée Resonance Project :The Cave est à vivre à la biennale de Lyon « Les voix des fleuves » jusqu'au 5 janvier.
Resonance Project : The Cave d'Oliver Beer
• Nostalgia. C'est une huile sur toile de 122 x 152,5 cm. Elle s'appelle Nostalgia et était visible cette année dans le cadre de l'exposition intitulée Richard Mayhew – Inner Terrains qui s'est tenue au Sonoma Valley Museum of Art. Richard Mayhew est ce peintre poète qui a dit : « Je veux que l'essence de l'âme se retrouve sur la toile ». Nostalgia représente un paysage fait de rouges et de verts vibrants qui esquissent encore l'orée d'une forêt comme solarisée, floutée, sortie de la réalité. Cette réalité physique première se dissout dans une peinture hantée par l'ascendance amérindienne et africaine de l'artiste voulant capter dans une œuvre mystique les émotions donc, mais aussi les humeurs et la musique de la terre.
Nostalgia de Richard Mayhew
• Idioms. On les dirait venues du monde de Daft Punk avec un masque doré redesigné par Brancusi. Ces sept figures qui hantent la totalité de l'exposition de la Punta della Dogana sont faites de plastique, cuivre, acier, nylon, aluminium , mousse PVC, caoutchouc et métal. Ce sont les Idioms de Pierre Huyghe qui vante leur sensibilité surhumaine en les révélant conscientes notamment du pH de l'air ambiant. Elles s'appellent Idioms, car l'intelligence artificielle qui les habite développe en elles une langue originale et étrange qui se développe par captation des mots venus du monde entier des visiteurs qui les nourrissent ainsi de sons comme on nourrit discrètement les animaux d'un zoo.
Idioms de Pierre Huyghe
• Stirs. Le voyage dans les limbes du temps est ici aussi le modèle dans lequel s'est moulé la création artistique. Pour la 125e biennale de Gwangju « Pandori A – Soundscape of the 21st Century », Marguerite Humeau a composé une mise en scène fastueuse qui semble abriter une vie microbienne antédiluvienne baignant dans la lumière de sphères de verre soufflé. L'ambition de l'installation n'est rien moins que de nous faire remonter 33 millions d'années plus haut dans le temps dans un décor pourtant high-techissime et sur une musique expérimentale inspirée de la tradition coréenne du pansori.
Sculpture de Marguerite Humeau
• A Conversation With the Sun d'Apichatpong Weerasethakul. Cette conversation avec le soleil n'aura à l'arrivée duré que quelques jours. Mais lorsque l'exposition Particules de nuit qui la retrace sera achevée le 6 janvier, elle aura laissé une trace indélébile dans l'esprit et le corps de ceux qui auront eu la chance d'en vivre l'expérience. Tout se passe sur la scène du théâtre du Centre Pompidou où les visiteurs sont d'abord accueillis par des images de dormeurs puis cernés par une foule munie de casques RV avant d'être invités à en porter un eux-mêmes pour se retrouver immergés dans une jungle et un ballet de soleils ors et noirs vertigineux. Et c'est par une explosion promise douce que s'achève cette singulière et poétique conversation avec les astres.
Illustration : A Conversation With the Sun d'Apichatpong Weerasethakul
© Theater Commons Tokyo '24 / photo : Shun Sato (Photo fournie par Bozar Brussels)
• Membrane de Philippe Parreno. Attention objet hypersensible ! Cette membrane poreuse à toutes les dimensions qui l'entourent était en fait une tour posée dans le jardin de la fondation Beyeler dans le cadre de l'exposition d'été expérimentale de l'institution culturelle suisse. Cette structure cybernétique était dotée de capacités sensorimotrices exacerbées qui lui permettait de percevoir les vibrations de toute nature de son environnement. Elle disposait en outre d'un traitement génératif du langage grâce auquel ces perceptions étaient retranscrites en un idiome baptisé « delta A ». Avec Membrane, l'art devient science mais cette science se fait fiction.
Illustration : Membrane de Philippe Parreno.
Les cinq espoirs de 2024
Plus encore que les valeurs confirmées, ce sont évidemment les espoirs de l'année présentés par Beaux Art qui retiennent toute notre attention chez ARTactif. On les regarde forcément en pensant à vous.
• Exonaut Horizon de Jean-Marie Appriou était à voir à la galerie Perrotin. L'objet mesure 202 x 120 x 98cm. Côté aluminium cela pourrait être deux corps de statues égyptiennes, bras entrecroisés. Mais côté bronze et verre soufflé, nous avons deux têtes d'astronautes casquées qui viennent coiffer l'ensemble en en dédoublant la perception. Surréaliste ? Non pas vraiment car le collage fait sens dans la réalité. Il y a une étrange parenté qui se dessine entre la conquête spatiale et la haute Antiquité. Ces deux faces de l'humanité réalisent le projet artistique de nous rendre « immenses » et « plus profonds ».
Illustration : Exonaut Horizon de Jean-Marie Appriou
• Nuit à Arles était présentée au sein d'une exposition montée dans le cadre de la résidence de Djabril Boukhenaïssi à la fondation Lee Ufan Arles. Les ténèbres évoquées par son titre sont des ciels où le noir nocturne se laisse représenter par un violet ultra profond. Le jour est ici un sol de sable crayeux dominant par sa masse mais dominé dans les faits. S'extrayant de la nuit, un phalène vient s'y poser en dessinant des dunes de ses ailes courbes. Fil rouge de l'exposition, cet inquiétant papillon de nuit hante toutes les toiles de la série.
Illustration : À ténèbres de Djabril Boukhenaïssi
Vue d’installation de l’exposition de Djabril Boukhenaïssi « À ténèbres » à Lee Ufan Arles, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Lee Ufan Arles. © Camille Kirnidis.
• Hopeless Sky de Flora Moscovici ne sera jamais suspendu à aucune cimaise. Cette peinture monumentale horizontale réalisée à même le sol pour le festival Normandie Impressionniste se découvre en arpentant le Hangar à dirigeables d'Écausseville ou en la survolant à bord du mini-dirigeable gonflé à l'hélium dont sont dotés les lieux. On flotte alors sur cette peinture planante. Les nuages en arc-en-ciel tachiste que l'on rase ou surplombe changent de tonalité selon les caprices du ciel normand.
Illustration : Hopeless Sky de Flora Moscovici
• Nista spec 1.0 / Nothing Special 1.0 de Nadezda Kircanski, présenté à l'IAC de Villeurbanne n'est une œuvre anodine qu'en apparence. Au premier regard, c'est un de ces lieux que l'on s'applique à rendre aussi impersonnel que possible : une salle d'attente de cabinet médical. Ne manquent que les revues à date de péremption dépassée. Sinon tout est là. À commencer par des sièges d'un vert gazon dont on ne voudrait pour rien au monde chez soi arrangés en file d'attente circulaire autour d'une plante exotique assortie. Le tout fait face à un comptoir mêlant trompe-l'œil et éléments de réalité. C'est l'histoire d'un regard dans un lieu fait pour la seule contemplation, un lieu plein de vide qui pousse à s'interroger sur jeu de la réalité et de son double fictif. Un espace muséal ?
Illustration : Nista spec 1.0 / Nothing Special 1 .0 de Nadezda Kircanski
• Cairn de Benoît Piéron est un fragment de rêve mélancolique. On ne sait en effet si l'on doit en rire ou en pleurer. Côté rire, c'est un assemblage foutraque de textiles qui composent ici un monstre et là un doudou, une chauve-souris, des mannequins , des paravents. Côté grimaces, c'est la douleur de centaines de patients - dont l'artiste - à laquelle on pense en reconnaissant dans ces amas jonchant le sol des draps, pyjamas, blouses, combinaisons, masques et serviettes pastels peuplant le milieu hospitalier. C'est donc une douleur pastel que l'on ressent face à ces installations faussement innocentes.
Illustration : Cairn de Benoît Piéron
Article écrit par Eric Sembach