La fin des musées de masse
Cela vous intéresse de savoir à quoi ressemblera un musée demain ?
Ce sera le musée infini dont rêvait Le Corbusier et Kiesler.
Un musée dont l'architecture bouge de façon quasiment organique pour adapter ses volumes en temps réels aux collections qu'il abrite. C'est aujourd'hui possible grâce au numérique propulsé au premier plan du monde muséal par la crise sanitaire.
Numérique, un musée devient vite un média de diffusion et d'interaction avec les autres musées également avancés dans leur numérisation. Bienvenue à l'ère du musée virtuel.
Et tant pis pour tous ceux qui n'ont jamais pris de casque d'audio-guidage de leur vie. La promenade silencieuse et intérieure dans les allées d'un musée inventée au 18ème siècle sera bien sûr préservée. Juré, craché. Mais, autour elle, l'ensemble de l'écosystème physique et numérique du musée va changer.
Frédéric Migarou, interviewé par Art Press est catégorique sur ce point : un nouveau modèle de musée est en train d'émerger. Et ce modèle doit beaucoup à Internet. Le conservateur en chef des collections architecture et design et directeur adjoint du Mnam-CCi Centre Pompidou évoque carrément le musée du futur avec des mots de chef de projet numérique de web agency.
C'est que l'enjeu est plus vaste et plus urgent qu'on ne pourrait le croire. Il faut attendre quasiment la fin de l'interview pour apprendre que les foires artistiques sont condamnées à court terme. Cela aurait très bien pu être le titre de l'article. Frédéric Migarou estime que l'ultime présentation physique avant la vente est devenue inutile. Le profil des acheteurs a évolué avec la crise sanitaire et en vue de la crise économique. On n'achète plus une œuvre mais une signature.
L'époque sera bientôt révolue où vous pouviez faire la folie de vous offrir une œuvre à, disons, Art Basel. Elle coûtait une blinde mais restait juste encore assez accessible pour vous prouver que la plus belle chose dans la vie est un coup de foudre.
Tout ça, c'est fini. Et mal fini.
Avant d'être culturel, l'objectif vital pour les musées d'aujourd'hui consiste à se doter asap d'un nouveau modèle économique. Hors numérique, pas de salut pour Frédéric Migarou. La numérisation des « contenus » est une nécessité. Bientôt, la valeur représentative des œuvres sera « plus importante que leur valeur physique ». Vous pouvez arrêter tout de suite d'imprimer des flyers d'invitation à vos vernissages. Ou entrer résolument en résistance ! Car il va être de plus en plus difficile de s'aligner. En se pensant comme des médias interactifs et interconnectés, les musées vont placer la barre très haut.
Les musées se feront « poreux à la circulation de l'information » dont la gestion sera hyper-personnalisée. Comme sur le net. Vous pourrez choisir vos « parcours » comme sur le net. Et bien il y aura une quête d'interactions afin que le public ne reste pas « passif ». Dans le pôle online du musée de demain sont évidemment prévus des « commissariats d'expo participatifs en ligne ».
Ceci revient ni plus ni moins à dire que l'intelligence collective d'un public amateur équivaut à l'expertise d'un commissaire professionnel. Certains préfèrent chercher et rechercher ce qu'ils aiment déjà. Mais Frédéric Migarou semble confiant en l'avènement d'un « public non touristique mais de plus en plus qualifié ». Accès plus direct aux œuvres, participation critique plus large, conférences, spectacles… Tout est prévu pour célébrer l'art entre sachants.
Imaginons que vous ne sachiez rien sur Picasso en entrant dans un musée, vous saurez en sortant tout ce que vous aurez eu envie d'apprendre, de voir, lire et entendre à partir d'un seul tableau du maître présenté physiquement. Tant qu'à faire, les Demoiselles d'Avignon.
Bluffant.
Mais c'est l'écume de la vague. La lame de fond décape bien plus. Grâce à des « conservateurs ouverts à la médiation culturelle », ces futures « plateformes de production et de diffusion » que seront les institutions muséales de demain vont « réinventer la notion d'exposition et de présentation des œuvres ».
En clair comme en décodé, cela veut dire que les musées vont devenir des chaînes de TV !
De l'immédiateté de la culture à la culture de l'immédiateté.
Illustration : Joan Miro-Les trois Bleus - Centre Pompidou - 2021