Photographies soumises
Il y a quelque chose qui bouge dans l'art aujourd'hui. Comme de vieilles photos qui reprennent vie et s'animent soudain.
En présentant l'exposition « Histoires de photographies » constituée à partir de son fonds immense, le Mad a eu tout loisir de se poser les bonnes questions. Que montrer ? Pourquoi ? Comment ? On notera que ce sont exactement les mêmes interrogations qui hantent, plus que jamais, les photographes des années Pinterest et Instagram.
Le résultat de cette réflexion ne créera pas de bataille d'Hernani. On ne perçoit plus très bien aujourd'hui la montée des idées car on ne sait apparemment plus très bien à quoi servent les idées. À avancer, non ?
Commençons déjà par arrêter de régresser. C'est ce que semble vouloir nous dire l'extrême qualité formelle des œuvres photographiques proposées malgré leur diversité mais aussi grâce à leur diversité. Cette uniformisation par le haut montre que l'art y gagne forcément à frayer dans les eaux les plus diverses pour peu que règnent partout la même quête perfectionniste et le même goût de la rareté.
Mode, architecture, décoration, textile, édition, publicité ou guerre… La photographie, plus que tout autre art, s'est souvent vue invitée à jouer les utilités puis les stars dans les activités les plus en vue comme les plus sinistres de nos sociétés avides d'instrumentalisation de la technique. À la photographie de se débrouiller pour montrer tout son art dans cette vision volontiers documentaire de sa vocation.
Fait marquant de ces Histoires de photographies résolument plurielles ? La nature et la qualité des liens que la photo a réussi à tisser à une époque aux antipodes de la nôtre et pourtant si proche d'elle. De quoi ébranler notre vision matérialiste de la peinture abstraite. On ne traitait pas alors, il est vrai, les photographes qui travaillaient pour la publicité. On ne vilipendait pas comme des esclaves ceux qui mettaient leur art au service de projets éditoriaux pourtant hyper-directifs. Pourquoi ?
Ces activités commerciales, loin de leur nuire, aidaient les artistes à maîtriser de nouvelles technologies et développer des techniques inédites. Au bénéfice de la photographie d'avant-garde. Cela nous semble paradoxal aujourd'hui. On verrait là une aliénation de l'art.
Photographiez voir un modèle vêtu d'un t-shirt et d'un jean. On vous demandera d'où viennent ces textiles, où ils sont vendus et comment ils seront recyclés. Personne ne vous interrogera sur votre intention artistique et vos options techniques. Ne serait-ce pas plutôt ici que l'on aliène l'art ? Voire pire encore.
Si l'art est si facile à aliéner, n'est-ce pas parce qu'il na plus de territoire à lui vers lequel il réussisse à s'enfuir, s'envoler pour échapper aux griffes de la mode, la pub et l'édition. Un territoire qu'on pourrait à nouveau appeler, pourquoi pas, « avant-garde ».
Illustration : René Herbst - Cabine de bateau - 1934