Anne Garde : photographe du crépuscule
Avec le temps, les raisons d'aimer le travail photographique d'Anne Garde gagnent en nombre et en force. Merci à Connaissance des Arts de nous le rappeler. Où l'on risquerait de la prendre pour une ixième émule colorée de Warhol.
Parmi ses multiples clichés explorant des voies parfois bien éloignées sur le plan plastique, l'histoire de l'art devrait retenir d'Anne Garde, les images hautes en couleur produites à la fin des années 2000. Plus encore que la sublimation esthétique de l'Inde qui la révéla au public. Dans les deux cas, le travail artistique attend, pour démarrer, que le décor soit planté.
Car le domaine d'excellence de Garde est avant tout la photographie d'architecture à laquelle elle a été initiée très tôt dans son parcours d'artiste. Mais une photo d'archi revue et corrigée par la magie des lumières et couleurs qu'elle a appris à mixer dans le cadre d'un job d'éclairagiste ayant financé ses études.
Récapitulons. Un lieu, des lumières, des couleurs. Le lieu est immobile, inamovible. Les couleurs et les lumières sont éphémères. C'est une danse et puis la nuit comme les papillons. Alors que les lieux meurent lentement et vieillissent comme nous. Et comme nos civilisations d'orient aussi bien que d'occident sur le déclin.
La photographie d'architecture se donne pour mission de montrer qu'un lieu est beau tel qu'il est. C'est une publicité pour l'architecture, du personal branding d'architecte. Le but d'Anne Garde est tout inverse. Elle pourrait magnifier par la lumière, comme on l'a tant vu, des lieux en décrépitude avec une volonté de sublimation de ce qui normalement n'apparaîtrait pas comme esthétique. Cette photo-là déréalise en fait le réel dans le mouvement même par lequel elle l'esthétise.
Anne Garde aime, elle aussi, shooter les lieux décatis, symboles de notre monde dont la modernité appartient au passé. Mais elle maquille ses « mannequins » de pierre et de béton pour qu'ils soient les plus beaux devant l'objectif.
C'est là qu'entrent en scène les pigments qui font la marque de fabrique, la signature Garde. C'est l'anti-photoshop. Les effets spéciaux visuels sont travaillés non pas après la prise vue ni même après. Tout se fait en live. Avec zéro filtre. Et c'est cela qui est génial. Unique. Connaissance des Arts pointe cette différence, cette distinction, en soulignant que l'artiste se contente de pulvériser ses poudres colorées, parfois à la sulfateuse, de tamponner à l'éponge certaines surfaces ou d'envoyer de la fumée colorée pour métamorphoser les espaces ».
Le réel se teinte ainsi par la magie de la couleur et la lumière en un autre lui-même magnifié dont il n'est que l'ombre. C'est cette beauté imperceptible pour qui ne sait pas la rêver qu'Anne garde nous révèle. Sa « sensibilité de l'entre-deux » ainsi que le formule joliment Elisabeth Védrenne dans Connaissances la pousse à préférer les lieux désertés ou décadents. Ces photos de lieux saisis au point de bascule produisent une « réalité augmentée » qui ne dure que le temps d'un déclic.
Le film de notre Crépuscule résumé en quelques instantanés. Et le pire, c'est que ce documentaire figé sur notre avenir nous fascine par sa beauté.
Illustrations : Anne Garde - Extralight 1 2008 + Anne Garde - Extralight 4 - 2008