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Dufy : à retordre
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Août 2021 | Temps de lecture : 11 Min | 0 Commentaire(s)

Peut-on juger un travail d'artiste à la fois nul et génial ?

Celui de Raoul Dufy, par exemple. Il y a clairement à boire et à manger, à nos yeux, dans les œuvres de Dufy que montre Connaissances des Arts dans l'article qu'il consacre au plus parisien des peintres havrais ce mois-ci. Que penser de ces tableaux, paravents ou fauteuils « décorés » de tours Eiffel, de Pantéon et de fleurs ? Et totalement désertés. Mais joyeux néanmoins grâce à une palette à la fois tendre et vive.

On éprouve un peu le sentiment que l'artiste a collé des fragments de son univers coloré là où il le pouvait. Si l'on faisait la même chose aujourd'hui, on frôlerait instantanément l'overdose. C'est pire que trop. Too much. Mais, à cette époque où Dufy était pote de teufs avec Jean Cocteau, l'excès en tout relevait d'une forme d'hygiène festive. On se réjouissait d'aller voir des spectacles où « il ne se passerait rien ». On y dansait avec des masques d'animaux en carton-pâte, on en peignait les décors et on les signait Dufy.

Ceci explique cela. Mais ne le justifie en rien. Le public des artistes n'est pas leurs contemporains. Tutoyer le génie demande de s'adresser aussi bien à l'avenir. C'est ainsi que l'art nous offre des miroirs du futur. En cherchant à inscrire l'éternité dans l'instant de l'œuvre. Et sur ce plan-là, franchement, qui voudrait faire trôner dans son salon un fauteuil Dufy au milieu de meubles design signés Putmann, Ito ou Bouroullec ?


Ce n'est pas grâce ses décors de mobilier gentillets parfois classes voire classiques mais souvent d'un kitsch naïf et guindé que Raoul Dufy avait une chance d'arriver à l'heure à son rendez-vous avec l'histoire de l'art. À moins que les critiques du futur ne classent Castelbajac au même rang que Picasso.


Mais on peut juger un travail d'artiste à la fois nul et génial. Et ce qu'il y a d'étrange dans le cas de Dufy, c'est qu'il excelle finalement dans l'épreuve reine : la peinture. Le propos et la technique demandent à être minutieusement ciselés car les candidats à la notoriété éternelle sont ici légions. L'enjeu est autre que lorsqu'on choisit pour cadre de ses tableaux, des assises et des dossiers flanqués de pieds et d'accoudoirs. On ne s'assied pas sur l'art. Excepté peut-être les voleurs des toilettes en or massif de Cattelan.

Où l'on redécouvre que Dufy était avant tout un peintre. Et un grand peintre même, d'une modernité discrète mais profonde. Le plus étonnant est que Dufy utilise dans ses toiles entre Matisse et Cocteau les mêmes ingrédients qu'il industrialise dans les motifs textiles produit dans sa « Petite Usine ». Une Factory avant l'heure.

On retrouve principalement sur la toile la palette pastel ensoleillée made in Dufy, des lieux déserts et puis Paris, Paris, Paris. La différence avec les motifs de mobilier made un Pigalle ? Paris n'est pas exhibé ici, ce n'est pas la capitale mondiale du tourisme. La Ville Lumière se réduit à des façades hausmanniennes à peine esquissées et pourtant reconnaissables entre mille. Même vues entre deux portes, par une fenêtre mais en aucun cas mises en vitrine.

Le lieu désert dépeint n'est plus la ville mais l'antre du peintre comme sur la toile intitulée L'Atelier de l'impasse Guelma. L'univers chamarré de l'ami de Cocteau est devenu le vide dans lequel se crée l'œuvre. Les tableaux mis en abyme dans les tableaux de cette période plus intime montrent la modernité par laquelle le peintre cherche une voie vers l'éternité. Plus que le bruit qu'il aimait faire, c'est ce silence de Dufy que l'on entend encore aujourd'hui.

Illustration : Raoul Dufy - L'Atelier de l'impasse Guelma - 1877

 

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