La cosa mentale* de Moninot
À propos des expositions « Le dessin élargi, Bernard Molinot » (Itinérante) et « Un toucher aérien » à Gap
Tout le monde n'aime pas considérer une œuvre d'art comme œuvre de l'esprit.
Connaissance des Arts s'en montre conscient, résigné voire consentant. On nous prévient dès les premières lignes d'un bel article sur Bernard Moninot que l'art sculptural de ce dernier pourrait déplaire. À qui ? À ceux de ses lecteurs souffrant d'une allergie à l'intellectualisation de l'art !
On notera que ce même magazine ne nous avertit jamais qu'une œuvre d'intérêt purement plastique risque de rebuter ceux de nous qui se montrent au contraire allergiques à toute forme d'art présentant un encéphalogramme plat. Et la parité ?
Il est vrai que dès l'Édito de ce numéro de juillet, Connaissances des Arts déclare espérer avec une vraie gourmandise un boom artistique post Covid révélant une créativité « davantage tournée vers les questions sociales et environnementales ». Si l'on voit les choses ainsi, tout devient simple voire simpliste. Pourquoi l'art penserait-il ses œuvres si la critique attend qu'il exprime plutôt une pensée militante déjà toute faite sur le monde ? Pour son bien.
Chercher à donner forme à l'esprit est pourtant un défi magnifique. On est donc heureux de lire dans ce même titre que la sculpture de Moninot présente l'intérêt rare de s'inventer « des gestes et des dispositifs pour traquer l'intelligible et tenter de figurer des phénomènes invisibles.». Comme par exemple le défi de dessiner le vent en transcrivant la trace de son sillage sur une pellicule de noir de fumée enduisant les parois intérieures de boîtes de Pétri disposées en des lieux naturels déserts ou désertés.
On comprend, au vu de cette série poétiquement intitulée Mémoire du vent, que l'art de Moninot invite à citer dans une même phrase Einstein et Duchamp. Vinci et ses codex associé à Brunelleschi et sa perspective mathématique. La sculpture de Moninot requiert, il est vrai, une vraie science physique de l'installation. C'est sa marque de fabrique, son ADN. L'esprit des dessins de lumière dans l'espace de la « sculpture » Mémoire du vent se retrouve ainsi également à l'œuvre dans le mobile quasi-caldérien intitulé Point de rosée qui mélange bois, plâtre, fil de nylon et gouttes de verre pour donner à voir non pas l'image d'un phénomène naturel mais ce phénomène en lui-même.
Est également citée dans cet article l'installation Chambre d'écho dont les « objets sonores », tels que des portes à tambour, haut-parleurs ou poulies sont présentés dans une boîte où les visiteurs se voient invités à pénétrer. Comme on entrerait dans un son. Et plus précisément dans un écho montagnard évoqué d'une façon « très duchampienne » ainsi que le formule très finement la journaliste Élisabeth Védrenne.
C'est en fait la question même de la représentation du monde par l'art que pose le travail de Bruno Moninot. Il n'en fait pas un objet que l'on montre mais un phénomène qui se donne à voir. Un objet saisi dans son mouvement ou dans l'équilibre des forces produisant au contraire son état statique. Et si c'était plutôt cela finalement la mission de l'art ? Et de la sculpture tout particulièrement. Au contraire de la peinture, elle ne risque pas d'aplatir le réel. Car l'idée ici n'est pas d'offrir l'illusion que l'on domine et maîtrise notre environnement. Et qu'il n'y a rien à creuser. Le projet artistique de Moninot consiste bien davantage à nous inviter à nous immerger dans l'univers entier et nous y perdre. Afin de mieux en saisir la structure secrète. Saisir intellectuellement ce qui est physiquement insaisissable. La sculpture selon Moninot est l'art divinatoire de voir l'invisible.
* L'art vu comme chose mentale (Vinci)
Illustraton : Bernard Moninot - La Mémoire du vent - 1999 - 2019