Bickerton surfeur provo
Un vrai artiste nous étonne parfois encore davantage par ses propos que par ses œuvres.
On n'a pas forcément saisi le sens profond de son travail au premier regard. Dans ses réponses à Richard Leydier d'Art Press, Ashley Bickerton prend le plus souvent son interviewer à contrepied. Il nie, dénie, renie, relativise. Et cela commence par son affiliation traditionnellement soulignée par la critique à la mouvance Néo-Géo. Il en fut même longtemps l'artiste-phare.
Mais Bickerton trouve, pour sa part, plus parlant un rapprochement générationnel avec les animaleries de Mark Dion, les fresques de Rifkrit Tiravanijan, les cabinets de curiosité de Matthew Barney, côté New-york. Et les monstres rangés des British Young Artists, côté Londres.
Nul !
Et n'allez surtout pas lui dire qu'il fait du Surf Art, sous le prétexte que les motifs de planches, les vagues et jusqu'aux requins hantent le premier plan de son œuvre. Il trouve ça « nul ». Ce n'est cependant pas par goût de la provocation que Bickerton manie aussi volontiers le paradoxe. C'est plus bonnement que sa pensée est toute en nuances. Il décompose le réel comme il fractionne ses œuvres en reconstituant leur forme structurale avec des matériaux étonnants.
Beach boy
Le surf est ainsi éclaté en trois moments : attente de la vague élevée au rang de « religion », « acrobaties sur un jouet en plastique » et « danse, en tango collé-serré avec l'énergie inépuisable des vagues » à laquelle Bickerton trouve « un certain charme ». Tout dépend donc de l'angle sous lequel on voit les choses, le feeling avec lequel on les vit.
Il en résulte des associations, des couplages, des sutures toujours intrigants et parfois carrément contre nature. Mais tout est pensé, prémédité. Bickerton s'amuse ainsi que l'on attribue à son installation à Bali son inspiration soudainement océanique. Il l'avait en réalité entièrement rêvée à New-York bien auparavant. Il appelle cela ses « variations spectaculaires », « ses infidélités stylistiques ».
Théâtre de la femme
Le second degré est chez lui le plus souvent détaché de toute intention critique ou humoristique. C'est juste une question d'histoire. De culture. On ne peint plus en 2021 une Lolita des îles comme le faisait amoureusement Gauguin. On peint une Lolita à la Gauguin. Bickerton ne représente donc pas une femme mais « le théâtre de la femme ». Ignorer le travail d'artiste de la stature de Gaughin, c'est de toute façon se donner toutes les chances de faire moins bien que lui à l'arrivée. Et surtout de peindre avec un regard et des intentions totalement dépassés. Ce qui ne risque pas d'arriver à Ashley Bickerton. Avec des copains de promo comme David Salle ou Éric Fischl à la CalArts de Los Angeles, il a trouvé dés le départ à qui se mesurer
Sens pluriels
Tout ceci replace l'importance de la culture dans l'appréciation de la nouveauté en art. Il est vrai que la polysémie est un terrain de jeu familiert pour Bickerton. Il a hérité de son père, linguiste mondialement célèbre, une conception « assez élastique du langage et des significations qu'il peut générer ». L'incorrigible Ashley se montre capable de déclarer, dans la même phrase et à propos du même sujet, comme la prolifération des logos sur les planches de surf : « J'étais la fois horrifié et fasciné ».
Un.e vrai.e artiste est souvent un.e redoutable critique. Envers les autres et, plus encore, envers soi-même. Bickerton est tout sauf tendre avec Bickerton. Il se sonde comme un océan, s'analyse, se questionne sur ses questionnements. Difficile de ne pas dire alors que certaines ouvres sont plus intelligentes que d'autres. Elles visent à mieux comprendre le monde. Quand elles visent juste.
Illustration : Ashley Bickerton - Orange Shark - 2008