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Guillaume Herbaut irradie
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Novembre 2021 | Temps de lecture : 15 Min | 0 Commentaire(s)

Relecture d'une interview de l'artiste par Aurélie Cavanna

Comment une photographie peut-elle encore émerger en 2021 ? Difficile, les poubelles des vendeurs d'éphémère genre Insta regorgent de clichés pleins de sens et de talent. S'il est si difficile de percer, il semble désormais totalement illusoire de rêver durer. Même en tant qu'amateur, être artiste photographe est devenu un métier difficile.

 

Réalité photographique

Mais voilà qu'Art Press nous sort Guillaume Herbaut du bac pellicule du frigo. Son interview par Aurélie Cavanna  s'inscrit dans un numéro à conseiller à tous les mordus du boîtier objectif. Entre photo documentaire et photo de presse, la réflexion menée à travers le magazine sonde naturellement la frontière déjà poreuse et floutée que l'on pose usuellement entre ces deux domaines. Elle trouble encore cette géographie malmenée en ajoutant la photo d'art au tableau. Autant dire qu'il y a photo de photos à l'arrivée. Tous ces clichés désormais en concurrence dans la même quête d'attention n'ont pourtant aucun problème en eux-mêmes. Sauf la très décriée photo de pub. En fait, c'est notre regard qui pose question. Notre regard, ou plutôt nos regards. Car nous n'entendons pas tous les choses du même œil.

 

Ça crève les yeux

Les différences culturelles sont immenses aujourd'hui en matière de lecture d'image. Le plus petit dénominateur commun entre nous est devenu majoritaire. Et tout ce qui excède est subjectif. Il faut être un alien pour avoir l'idée d'apprécier une photographie non seulement pour elle-même mais aussi en référence à d'autres qui n'en méritent du coup que davantage d'être distinguées. Mais tant pis si ces liens, ces références se perdent et, avec eux, ce qu'il faut bien appeler la culture de l'œil. Rapprocher Jonvelle de Balthus ou Serrano de Toscani est un plaisir manifestement trop obscur pour se voir aujourd'hui largement partagé. Mais ce n'est pas grave. L'œil est crevé mais l'œil a encore faim. Et c'est là que l'œil jette un œil aux photos présentées entre les colonnes de l'interview de Guillaume Herbaut. Il n'en croit pas son œil.

Guillaume Herbaut  Zone 2009-2011- 30500

Et puis le choc

Nous sommes page 491. Il est 18h10. Tout commence avec une bête photographie d'un intérieur cheap désert. Mais ce n'est qu'une première impression. Et cette photographie est un vrai mille-feuille. Fausse piste donc. Nous sommes plutôt dans un appartement spacieux si l'on en croit la profondeur de champ rythmée de surcroît de doubles portes peut courantes dans les studios d'étudiant. Les murs sont uniformément blancs ce qui nimbe la scène de fraîcheur. Mais aussi de douceur car la lutte et l'ombre entre lumière venant frontalement du troisième plan et latéralement  du second se teinte par pans de murs entier d'un très bel azur pastel.  Entre le fondu au noir du premier plan et le blanc rayonnant du fond, trône un fauteuil rouge. Légèrement de trois-quart et un excentré sur la droite de l'image il nous fait face. Comme s'il attendait depuis longtemps de pouvoir accueillir un humain à accoudoirs ouverts. Voilà, c'est tout.

 

30220 microems

Le problème, c'est que le fauteuil rouge si sympa à première vue est orphelin de ses coussins. Et quelque peu déglingué. Son si beau rouge vintage à première vue n'est en fait que rouge passé avec des motifs dorés assez kitsch symbole d'un bling-bling explosé. Et d'un quotidien d'une sérénité auto-célébrée soudainement interrompu. Car il manque un battant de la double-porte et il y a des gravats par terre. Tout semble à présent un peu dévasté. Pillé ? Pourquoi piquer les coussins et pas le fauteuil ? La machine à tisser des liens entre l'image et la réalité multiplie les questions pour figer le sens de la photo en un cliché. Et le ranger pour mieux l'oublier. Mais pourquoi il y a-t-il le nombre 30220 inscrit discrètement en chiffres rouges à mi-hauteur sur droite de la photo ?

30220, c'est le niveau de radiation qui régnait dans cet intérieur de Technobyl lorsque Guillaume Herbaut l'a shooté dans le cadre de sa série la Zone 2009-2011. Ce niveau de dangerosité est mesuré en microems. À titre indicatif, la norme se situe entre 10 et 20 microems. La photographie irradie. À l'heure de la géolocalisation, de l'horodatage et de la reconnaissance faciale, d'hier, cette photo déjà datée d'hier réussit encore l'exploit de s'inscrire fugitivement dans nos vies pour troubler toujours davantage nos esprits plus nous la voyons nette.

C'est en quelque sorte une photographie d'art journalistique documentaire signée Guillaume Herbaut.


Illustrations : La Zone de Guillaume Herbaut