Nymphéas
A propos de l'artiste
Le pas mal assuré de mon roi dans l’escalier, le bruit de la tasse tremblotante dans la soucoupe m’annonce le glas du lever. Vive le lit et la grâce matinée ! Les artistes se couchent à l’aube, c’est connu ! Ils ne peuvent prétendre se lever au chant du coq.Quel jour sommes-nous ? C’est la première énigme que ma cervelle encore noyée dans les brumes nocturnes doit élucider rapidement. La douce torpeur de la nuit ayant stoppé le grand sablier du temps, l’horloge crânienne reprend sa course folle, dans le sens inverse et remonte le temps. Alors que la roue du temps tourne, je savoure le doux nectar qui me sort avec douceur de mon précieux sommeil. La dernière gorgée a le même effet sur moi qu’un lever du drapeau dans une caserne militaire.« Bon sang ! Mardi, aujourd’hui j’ai un rendez-vous important » le lit m’expulse. Les pantoufles se cachent comme d’habitude. Je ne les cherche pas, tant pis ! La nuit a cousu les manches de ma robe de chambre, je renonce… La douche achève le réveil. Les yeux bien ouverts, je parcours chaque millimètre de ma petite personne passant en revue le moindre détail. J’opte pour le camouflage d’urgence, fond de teint, anticerne. La garde-robe se défile comme à l'accoutumée. Traitresse, elle fait rebondir ce qui devrait paraître plat et elle efface ce qui devrait me servir d’offrande. Je souffle… Je dois convaincre par mon travail, mais… dans certains cas une arme supplémentaire n’est pas inutile.La crinière blonde lâchée sur une robe moulante en velours noir, des talons aiguilles, l’image est flatteuse.J’observe, je doute… trop tard ! Je pars.J’adore certains bâtiments administratifs. Ils exhibent un luxe qui renvoie immédiatement le peuple à son rang de manant. Je suis en extase face à tant de luxe déployé, que de trésors restaurés, je souffle ravie comme un chien devant un chapelet de saucisses ; je me sens à ma place. Les artistes adorent la magnificence dans tous ces états, quand ils ne la possèdent pas. Dans l’attente que l’on daigne me recevoir, je me plus à habiller ces décors de rêves avec mes toiles, et la transformation magique s’opère, je suis rassurée sur mon talent. La porte s’ouvre, je sursaute. Je souris. Zut ! C’est une femme. Je constate à chaque fois avec amusement que les femmes ont ce regard rapide qui vous donne l’indice tout de suite sur ce qui cloche dans votre apparence. Je penche la tête en direction de sa fixation. Ha ! Un cheveu, cela fait désordre ; je l’attrape délicatement, tout en la regardant, je lui souris bêtement. Comme si l’agonie d’un long cheveu blond sur une robe noire pouvait remettre en cause mon talent et mon charme naturel.Vous avez rendez-vous avec ?Tiens, elle parle ! Le directeur.Il est en retard ! Vous allez devoir patienter !Cela n’a pas d’importance, j’ai tout mon temps.Elle m’observe.Quel est l’objet de votre visite ?Une exposition. Je suis peintre !Le regard devient vif et perçant !Bien !Elle disparait. Son pas résonne dans le vaste couloir. Une porte claque. Le silence s’installe à nouveau. Mes yeux s’égarent, mon esprit se promène.La porte s’ouvre à nouveau. L’homme est charmant, ce n’est pas gagné pour autant. Je souris timidement. Je me lève offrant une main tendue.La femme revient, cherche à détourner son regard en lui parlant d’un dossier.Il s’en fiche ! Elle rumine.Ce premier contact est toujours important pour moi, le regard et le contact de la main sont les premiers signes qui m’aident à choisir la stratégie à adopter pour repartir comblée. Asseyez-vous, je vous en prie ! Merci.Il s’assoit, découvre une page vierge de son calepin, toujours neuf ? Prends un stylo, le tourne dans tous les sens en le triturant. Baisse les yeux dans sa direction, découvre le mécanisme, Euréka, ça marche ! Il lève un regard de chaton timide vers moi, fronce les sourcils et articule se rendant compte que c’est moi qui vient faire requête.Je vous écoute !Il m’arrive parfois d’avoir envie de me lever et de fuir immédiatement, mais mon sang chaud glace l’envie. J’expose la requête avec le même aplomb que Marie Antoinette face à l’échafaud pour garder sa tête. Il s’en aperçoit et me rassure avec son adorable sourire et un regard inquisiteur que seuls ont les hommes ! La vie d’un peintre passe inévitablement par ces entretiens parfois sympathiques, amusants ou décevants. Nous allons à la rencontre d’une horde d’individus emplis d’une intelligence malicieuse, de charme et de classe ou son panache de crétins idiots prétentieux.Nous recevons chaque jour des tas de demandes pour des expositions et par de très grands noms vous savez !« Bien sur que je sais abruti, mais je suis moi ! »Dans un tel endroit, j’imagine ! Je réponds en agrandissant les yeux.Vous connaissez monsieur X, Y, Z ! Ce sont des peintres très connus en Charente Maritime.« OK trésors ! Si tu commences avec ce registre, je vais te sortir la grande artillerie. »Non, je suis désolée, ces noms ne me disent rien. Je mens bien sûre que je les connais, même les taupes ont entendu parler d’eux. Je n’expose pas beaucoup dans la région. J’ai exposé aux États-Unis… Et je lui sors tout mon CV. Bing ! La tronche qu’il tire, qu’est-ce qu’il croyait cet idiot que je sortais tout droit de mon village ! Eh bien non ! tu as devant toi une nana qui a trainé sa bosse un peu partout. Montrez-moi votre travail.Mon état de service l’a convaincu que je n’étais pas une débutante.Je lui tends mon press-book. Instant fatidique. Là plus de stratégie à adopter, car tout va dépendre de l’individu.Dans le premier cas, il s’y connaît et juge avec des termes appropriés. Si le travail lui plait, c’est OK si l’œuvre ne rentre pas dans ces critères, c’est fichu, aucun argument ne le fera infléchir.Si c’est un gentil qui n’y connaît rien et qui l’avoue humblement, il faut sortir la grande parade et le convaincre. Par contre si c’est le crétin qui n’y connaît strictement rien, mais qui croit tout savoir, c’est fichu. Il me faudra adopter l’attitude de l’artiste méconnue.Je ne suis pas un grand spécialiste, quelle est votre technique ? C’est de l’huile ? C’est surprenant !Très bien trois questions d’entrée, c’est super.C’est de l’huile. Je monte mes couches aux couteaux, je lisse et j’intègre parfois des collages.C'est du verre. C’est magnifique !« Ouf ! »Bon !Il tend le bras vers un meuble qui menace de s’effondrer. Le bureau est petit, simple je dirais même modeste. Il saisit un agenda.Tout va dépendre du planning, et de vos exigences.Je n’en ai pas.Ha !C’est le genre de réponse qui surprend toujours. Un artiste et en plus une femme sans exigence là généralement ça fait sourire un homme.Le départ se déroule comme l’arrivée. L’homme me raccompagne.Si vous avez un souci, appelez-moi !La secrétaire arrive au galop, cherchant à rattraper son étalon de patron.Il lui sourit.J’arrive !Elle exulte de bonheur, me regarde comme un doberman bave devant sa gamelle.Au revoir Madame, lui dis-je en souriant tout en déviant mon regard vers l’homme.Je repars, comblée. ( Extrait du livre Libertad. Autobiographie d'Eylliae)
Expositions de 1993 à 2008 à New-york, Las-végas, Taos, Rome, Palo-Alto, Corse Calvi, Sarrebourg, Vittel, Nancy, Marseille, Paris.
Exposition à l'Abbaye deTrizay et La Tremblade, Charente Maritime de 1999 à 2012.
Auteur livre jeunesse et roman. Carcamor. Doug et Tordu dans la forêt bleue. Amélamone, l'île magique.