Entre écriture et peinture
Ce texte est le premier d'une série intitulée "le Vide et la ville".
Une suite de 18 textes d'impressions pour dire le Vide à tous ceux pour qui la ville reste un lieu que l'on subit plus qu'on ne vit. Et pour poser un autre regard sur l'espace dans lequel nous évoluons au quotidien sans trop savoir ce qu'il représente pour chacun de nous.
Ce texte date du début des années 1980.
1. VIE, VILLE, VIDE
Je ne sais à quoi cela tient mais, j'ai avec la ville un rapport que l'on réserve habituellement à une femme ou tout au moins à un être cher.
Par conséquent, je vis depuis pas mal de temps avec un mal-être, un malaise, un sentiment difficile à cerner devant la dégradation de l'espace urbain et particulièrement celui des périphéries, quoi que les centres anciens n'y échappent pas à quelques exceptions près.
Parallèlement, ce qui me frappe, c'est le peu de cas que l'on fait de ce phénomène. En premier lieu, des intéressés eux-mêmes. Pas ou peu de réactions à cette dégradation par ceux qui, cela me semble, devraient être les premiers à réagir. Est-ce par impuissance, inconscience, lassitude ? Un peu de tout cela certainement. Et puis, il y a quelque chose en moi qui m'interdis d'intervenir pour, disons, «faire le bien».
Non, je veux me situer bien au-delà. Je me sens concerné parce que j'en souffre et en même temps je ne me sens pas concerné. Après tout me dis-je, s'il n'y trouve rien à redire, pourquoi irais-je protester ? Être plus royaliste que le roi ? Vouloir le bien des gens ?
Non, il ne s'agit pas de cela. Ce n'est pas une question de bien, de charité‚ ou d'humanisme.
C'est plutôt une question de prise de conscience d'une perte de quelque chose de fondamental.
Une relation à l'univers rompue, perturbée.
Une rupture avec l'essence même des choses de la vie.
L'homme du XXe siècle est, plus que jamais, en crise dans sa conscience et en retour sa vie en subit les conséquences. Ce n'est pas la ville qui détruit l'homme, il me semble, à l'heure actuelle, mais l'inverse dans la mesure où la conception de la ville telle qu'elle se développe depuis une cinquantaine d'années, d'abord dans le monde dit Occidental et maintenant sur l'ensemble de la planète, pratiquement, va à l'encontre de l'équilibre avec l'univers alors que cet équilibre devrait toujours être recherché dans sa réalisation, ce qui est loin d'être le cas. Par inconscience? Oui, quelque part. Mais également par des formes de raisonnements déconnectés de la réalité fondamentale de ce qu'est l'univers dans lequel se bâtit notre quotidien. En ce sens, la notion de « vide» que l'on a en Occident est, je pense, un obstacle à l'évolution des esprits sur les problèmes de la ville.
Car c'est une connotation négative qui d'abord domine à propos de ce terme de vide. Il n'y a qu'à voir les synonymes que nous propose le dictionnaire de service à propos de ce mot.
Vide = zéro, nul, creux, néant, insignifiant, etc.
Voilà la définition du vide selon la pensée occidentale.
Il va sans dire que pour le commun des mortels, le mot « vide» est synonyme de « rien».
C'est un espace où il n'y a rien, où il ne se passe rien!
Or, dans la pensée taoïste par exemple, il nous est dit ceci:
Le vide est une matière pleine et efficiente,
c'est la matrice du monde, ce qui donne la vie,
à l'image du ventre de la mère.
Je préfère cette pensée. Je m'y sens à l'aise. D'ailleurs, il ne faudrait pas croire que son «étiquette» taoïste la consigne dans les contrées orientales de notre planète.
J'aime à penser que les idées n'ont pas de frontières et qu'elles voyagent aisément depuis la nuit des temps. Peut-être faut-il ranger cela dans le domaine de « l'inconscient collectif» comme cela se dit du côté de Jung ?
Nos ancêtres, constructeurs de ces villes et villages qui, de par le monde nous attachent, nous subjuguent par leurs qualités spatiales, ne se comportaient-ils pas comme de vieux sages taoïstes? Leurs comportements « instinctifs» s’y ajoutant, le résultat est là, probant. Une qualité de travail de l'espace « vide» qui donne à ces espaces urbains ce que l'on nomme « âme» en occident, c'est-à-dire tout simplement un vide qui a une fonction nécessitée par l'usage des habitants des lieux. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.
D'ailleurs, ne vaut-il pas mieux oeuvrer dans l'inconscient et dans le respect des lois de la nature plutôt qu'avec une conscience qui fait fît de ces lois ? Ce qui bien souvent est le cas aujourd'hui. Ce ne sont pas les analyses éclairées produites par les spécialistes de la conscience « objective» qui nous sortiront du bourbier. Car nous sommes dans un cul-de-sac conceptuel à cause de cette perte de sens des mots. Et je me dis même qu'autour de ce mot « vide», je dirais plutôt que derrière ce mot, se cache un malaise profond de notre société, dépassant le fait urbain, à cause de la perte de valeur des idées issues des religions monothéistes où ce vide au sens occidental prend des proportions insoupçonnées.
Je pense qu'il y a à propos de l'espace de la ville une prise de conscience, dans l'inconscient collectif, d'une perte. L'espace urbain maîtrisé pouvait être vu comme l'univers en réduction.
D'ailleurs à certaines époques de quelques sociétés au passé prestigieux, cette idée gérait la conception même de la ville comme en Extrême-Orient par exemple, mais également dans le Proche-Orient ou en Méso-Amérique.
Aujourd'hui, le néant des réseaux de circulation qui président à la conception des villes à l'opposé du « vide structurant» des cités anciennes entraîne le citadin dans une rupture fondamentale à travers son être d'avec le cosmos.
Si l'on conçoit le vide comme une « respiration de l'univers», l'on peut craindre l'étouffement, un de ces jours !
Je me demande même si la croyance en Dieu n'a pas jusque-là évité la catastrophe, comme échappatoire, une fuite rendue nécessaire devant le mal-vivre des sociétés.
Je crois que cette perte à travers le « Vide» devenu « néant» a pu, jusqu'à présent d'une certaine façon, être remplacée par une quête de Dieu comme symbole de cette nature de l'univers, de cette unité perdue.
Pour d'autres et peut-être pour la majorité, la «fuite» sous la multitude d'aspects qu'elle peut prendre a pu se produire à bien d'autres niveaux. Aujourd'hui, de ce point de vue, l'automobile joue un rôle essentiel. Je ne citerais pas d'autres supports à cette «fuite», ils ne manquent pas, heureusement, car le déséquilibre se fait gravissime.
Il me semble alors qu'il vaudrait mieux redonner les moyens à tout à chacun de participer à la production de son espace, de « faire son nid» comme l'on dit.
La régulation pourrait se trouver du côté d'un partage équilibré entre le pouvoir des responsables et les usages des citoyens. Que les premiers empiètent le moins possible sur le domaine des seconds, qu'ils aient la sagesse de ne gérer -mais de le bien gérer- que l'essentiel de ce qui permet à la cité de fonctionner et de laisser tranquille le citoyen dans son territoire. Cesser de lui imposer des règles draconiennes pour le moindre bouton de porte, d'avoir ce côté castrateur, des interdits en permanence alors qu'il y a un besoin énorme d'écoute, d'attention… Toujours cette notion de bien et de mal à tout propos. Adam et Ève, le serpent et la pomme, oppositions sorties à tout bout de champ; notre société ne s'en sortira pas si l'on ne s'éloigne de cette dualité. Il faudrait remplacer celle-ci, je crois, par une idée de complémentarité. C’est-à-dire tourner notre regard, pour nous Européens, plutôt vers l’Est que vers l’Ouest !
Je voudrais revenir à cette idée de prise de conscience d'une perte de symbiose avec l'espace.
Dans nos sociétés agraires d'il y a quelques décennies et plus, je pense que le rapport à l'espace se faisait naturellement en un va-et-vient continu entre un citadin près de la campagne et un campagnard près de la ville -petite ou grande- nécessaire à la vente de ses produits; ce rapport permanent, intime, donnait un équilibre « inconscient» aux actes qui étaient posés.
Je ne crois pas qu’il y ait eu la volonté de chercher à y produire de belles cités -cette approche étant celle d'une minorité au fait des idées de la Renaissance italienne et de ses notions de perspectives, génératrices d'ordre- (ceci n'étant bien sûr valable que pour ce que l'on nomme l'Occident), mais qu’il a été constamment question de produire de l’utile –et à l’occasion de l’agréable- dans la mise en forme quotidienne de l’environnement de l’homme. Et cela est valable à mon sens aussi bien pour un hameau de quelques fermes que d’une cité, considérée comme une métropole régionale. Je crois bien que tant que celui qui réfléchit à la ville avec l’intention d’agir le fait en restant les deux pieds sur terre –et là je pense que l'expression « avoir les pieds sur terre» prend toute sa valeur- celui-là aura une approche permettant de maintenir cette symbiose avec l'Univers dans la mesure où cette relation à la Terre a une dimension philosophique de respect et d'affection profonde entre êtres vivants.
Quand je dis « les pieds sur terre», je ne veux pas dire s'occuper de ses affaires, être matérialiste, non. Je veux dire être près de la terre, avec la conscience que l'essentiel c'est la « Terre » au sens où la Terre est « notre mère», la référence fondamentale. Nous venons et retournons à la Terre. Nous en sommes parties prenantes.
Il est courant d'entendre dire: « on ne croit plus en rien de nos jours ! » Y a-t-il eu des jours où l'on croyait à quelque chose, à part les actes que l'homo sapiens posé en construisant sa maison, par exemple? Je me le demande.
Construire sa maison, c'était produire du Vide. Et ce Vide, c'était un maillon de la chaîne de ce lien avec l'Univers. Et ces multitudes d'habitations, côte à côte, c'était « apporter » chacun sa pierre à l'édifice permettant le maintien de cette symbiose avec le cosmos à travers son être et son prolongement naturel, sa maison.
Au même titre que ce n'est pas la ville qui détruit l'homme, ce n'est pas l'automobile qui détruit la ville, mais c'est dans chacun des cas la façon dont l'homme use et abuse de ses propres productions.
L'homme doit redevenir le centre des préoccupations de nos sociétés, comme cela a pu être le cas, ponctuellement au cours des siècles et dans des sociétés qui ne se voulaient pas dans la quête d'une ville idéale, phénomène qui a existé, bien sûr, mais relativement rare dans l'histoire des villes. Démarche plutôt de militaires ou de philosophes !
Même dans les sociétés où l'homme était prépondérant dans la pensée comme valeur de référence, il y a encore peu de temps, un certain rationalisme et une croyance naïve en la « Raison» ont eu finalement raison de cet équilibre précaire, fragile, de l'homme et de son environnement.
Le rapport à l'espace a changé avec l'arrivée de l'automobile et plus encore avec le train et l'avion. Cependant fondamentalement l'homme a toujours le même besoin de rapport à son espace, celui de l'homme les pieds sur terre. Celui de l'homme avec sa famille, avec les êtres qui lui sont chers. Et là, ça se complique de plus en plus, au fur et à mesure que nos sociétés se « modernisent», soi-disant ?
Le succès de l'automobile est peut-être à voir dans le rôle de Vide-cocon qu'elle joue en contrepartie du néant dans lequel elle se déplace lorsqu'elle se trouve dans ces zones d'habitats où l'homme se sent si mal; retrouver le ventre de sa mère, ce Vide géniteur.
Le Vide-ventre du centre des villes ayant bien souvent disparu, comblé par cette multitude de Vide-cocon que sont les automobiles.
Comblé. Étouffé. Asphyxié au propre et au figuré, tel est ce centre, centre devenu « néant» par trop de rien.
Il en résulte une agressivité que cette perte de Vide aiguise malgré ce Vide-cocon qui temporairement le comble. Car ce Vide urbain quand il joue son rôle social, affectif, c'est-à-dire un rôle temporisateur dans notre vie quotidienne, ce Vide prend sa pleine expression de matière « pleine et efficiente».
Et s'il est absent comme cela est bien souvent le cas aujourd'hui, depuis les belles théories de la ville à la campagne, produisant par extension ces lotissements à perte de vue autour des villes anciennes (qui « singent » les villages anciens évidemment sans en avoir les qualités spatiales et sociales par, également, le manque total de travail sur le « Vide»), il est absent de la « ville propre» dans la ville idéale où le soleil entre à plein flot dans le cœur des gens, mais où la froideur des sentiments est à l'image de la pseudo-rigueur constructiviste des compositions urbaines: tour, barre, horizontale, verticale. Le tout enveloppé d'un magnifique néant qui engendre l'ennui. Ajouter à cela la pauvreté et la haine, le racisme et l'intégrisme. Je devrais dire tout cela au pluriel ! Il n'y a plus qu'a allumé la mèche pour le feu d'artifice final.
Heureusement qu'il reste le cœur de nos « belles vieilles villes» n'est-ce pas ! Ça compense. Centre historique contre urbanisme d'après-guerre. Mais pour combien de temps et pour qui. La ville construite par ses habitants contre la ville construite par des administrateurs et des promoteurs sans état d'âme et s'il y a quelques bons promoteurs, ils ne pèsent pas lourd dans la balance. L'acte d'autosatisfaction contre –tout contre- l'acte des « moi je sais ce que les gens veulent»; l'art urbain subtil et utile ramené à l'utilitaire le plus primaire. Des boites alignées et empilées dans une pseudo-composition artistique, de pâles copieurs de l'art abstrait des années vingt.
Des aménagements urbains conçus comme des compositions picturales du Bauhaus, référence ultime de cercles d'intellectuels habitant les centres anciens de préférence. Ce qui n'est pas interdit, mais cependant si tous les décideurs et réalisateurs de cet urbanisme soi-disant moderne étaient contraints d'y habiter -à commencer par les « politiques» dont on parle peu dans ces cas là, mais qui jouent un rôle non négligeable dans les décisions de la réalisation- bref, tout ce petit monde fuirait bien vite ces lieux. Et j'espère qu'ils cesseraient d'en défendre les prétendues vertus.
Mais il y a pire que cela.
Aujourd’hui, se développe un urbanisme « à visage humain » avec la prolifération d’ensembles qui se veulent construit dans l’esprit de la région et qui finalement ne sont que des décors d’opérettes dont l’objectif est de faire croire à ses futurs occupants qu’ils sont mieux traités que ces « pauvres bougres des cités » et qui de fait, par cette approche, est une approche qui accentue les clivages. Mais ce ne sont que des « HLM » déguisées qui s’inscrivent dans un schéma urbain misérabiliste. Pour faire passer la pilule, l’astuce étant de noyer le poisson dans des « espaces verts » qui se veulent, n’est-ce pas, structurants ! Quelle farce ! Pendant ce temps-là, les « zones d’activité » et les supermarchés saupoudrés en périphéries annulent définitivement toutes tentatives de structuration de l’urbanité de ces villes. Mais tout cela est bien propre, tiré au cordeau et donne l’impression d’ordre et de sérénité. Mais c’est un leurre qui n’a de réalité que face à l’image encore vivace des taudis d’antan.
Il y a toujours pire, ici ou ailleurs, en comparaison des bouges dans lesquels au début du siècle nombre de gens survivaient.
Évidemment.
Est-ce une raison pour défendre ces concepts urbains, source de tant de nos maux, se contenter de replâtrages ? Un petit coup de peinture de-ci, de-là. Cela évite de se poser des questions de fond. Et ces questions de fond ne sont d'ailleurs pas plus posées dans l'antithèse qu'est la production du « HLM horizontal » à savoir les lotissements ou encore le village reconstitué, très à la mode par les temps qui courent.
Le Vide est-il autre chose que du néant ?
À l'image du désert qui est tout sauf du néant, car le désert est plein de Vide, la ville contemporaine est pleine de néant, me dis-je!
Et ce néant anéanti nos villes et villages, notre sociabilité. Il réactive certains vieux démons que nous avions espéré, que nous avions cru disparus de notre paysage de «société développée», démocratique, plurielle et autres sornettes de discours politiques racoleurs ! Mais racoleurs par impuissance ou bien incompétence ? Je pense que cela tient plus de l’ignorance, de l’incompréhension et d’une perte de connaissance.
Ce néant urbain nous révèle le côté animal que tout homme a en lui et que certains espéraient, par l'action de nos principes républicains, avoir éradiqué; hélas, il n'en est apparemment rien.
Le Vide est un matériel de première importance pour la conception de notre espace urbain comme d'ailleurs de notre espace rural. Je reviens au vide du désert qui est pour moi le Vide suprême. La vie de la Nature.
5. DUBROVNIK, l'œil de boeuf
Il est des lieux de villes qui se révèlent après bien des détours, qui se cachent au creux d'autres lieux et dont l'importance éclipse ces lieux seconds, mais qui s'avèrent après coup de première importance.
Lorsque l'on pénètre dans une cité telle que Dubrovnik, dans cette ancienne Raguse qu'enserre ce serpent de pierre que sont les remparts et qui courent de creux en bosses pour protéger mille et un lieux, c'est un Vide majeur qui nous reçoit. Qui nous reçoit mais qui également reçoit. Il reçoit, tel un fleuve, ses affluents tout au long de son parcours ses rivières et ruisseaux qui sont ces rues et ruelles dégringolant des pentes environnantes.
Si vous vous laissez emporter dans le courant du flot humain qui le parcourt à l'heure de la «passagietta», immanquablement vous échouerez sur les rives d'une de ces places (de ces plages?) qui en sont l'aboutissement. Et si par désir, hasard ou volonté vous vous êtes retrouvé remontant une ruelle ou ayant pénétré dans l'une de ces places, églises ou autres lieux qui vous attirent plus que ce flot, vous arriverez à un moment ou un autre dans cette rue couverte qui peut en inquiéter certains mais en ravir d'autres. Si c'est l'inquiétude qui vous anime à ce moment-là, il est peu probable que vous remarquiez certains détails ou accidents de parcours. Si par contre le ravissement vous gagne de passer du clair-obscur à la pleine lumière pour revenir dans la pénombre, voir dans une obscurité à la limite du supportable selon l'heure du jour et le temps que les cieux, souvent cléments, peuvent par moment considérablement assombrir alors c'est peut-être dans ces moments de contrastes violents de luminosité que, cheminant dans cette rue couverte, vous serez immanquablement attiré par l'œil-de-bœuf. Cela vous rappellera peut-être des souvenirs, des sensations de l'enfance quand étant dans un lieu sombre une lumière telle un aimant va vous attirer. Une lumière qu'un interstice ou un petit trou dans une paroi ou une porte laissera passer. Et vous ne pourrez vous empêcher d'aller mettre votre œil sur cette fente ou ce trou pour voir. Voir ce que cette lumière révèle. Quel monde éclaire ainsi l'obscurité !
À Dubrovnik l'œil-de-bœuf ne révèle «son monde» que si l'on prend le temps de s'attarder devant l'ouverture qui s'offre à vous dans le mur et qui par son intermédiaire vous raconte l'essentiel de la ville.
Vous découvrirez inscrit dans l'ouverture de cet œil-de-bœuf, l'image des pouvoirs religieux, civile et militaire. Soit vous continuez votre chemin et arrivant bientôt à la fin de cette rue couverte vous débouchez sur la place où vous retrouvez les trois symboles précédemment aperçus dans l’œil-de-bœuf, sans plus, soit vous vous attardez sur cette vision en vous demandant le pourquoi de cet œil-de-bœuf à cet endroit.
Vous n'aurez peut-être pas mesuré alors l'importance de ce trou, de ce Vide parmi bien d'autres. À l'échelle de la ville, il n'a pas plus d'importance que le trou du grenier qui laissait passer une petite lumière intrigante au point que votre œil veuille s'y coller, pour voir. Pour voir ou pour dire ? Est-ce que cet œil-de-bœuf est là pour nous permettre de voir ou pour nous dire et nous dire quoi ? N'est-ce pas le trou de la serrure de la ville de Dubrovnik que cet ovale placé là dans un mur quelconque, à la fin d'une rue ? Ce vide ne nous donne-t-il pas les moyens d'entrer dans la ville, de nous dire où est l'essentiel de cette cité dans un espace d'à peine un quart de mètre carré ? Et même si cela devait être que le fruit du hasard, à supposer que le hasard existe, il aurait bien fait les choses ce hasard. Il a de plus, ce Vide, une force qui se révèle lorsqu'on arrive au bout de la rue et que l'on découvre alors les mêmes bâtiments entre aperçus. Ils perdent alors de leur force, ils n'ont pas la même intensité dans notre regard. La place que nous avons sous les yeux tout d'abord, avant de percevoir les bâtiments, y est peut-être pour quelque chose. Il est certain que le fait d'inscrire ainsi dans un petit ovale l'image réunie de ces trois symboles de la ville donne à ce lieu une force que n'a pas votre regard à partir de la place.
Le Vide créé ainsi dans ce mur prend alors toute son importance.
Il trouve sa réalité et sa force dans ce qu'il nous dit, dans le rôle qu'il joue.
Plus qu'un moyen d'apporter un peu de lumière à la fin de cette rue couverte, il est un révélateur qui ne dit sa réalité qu'à ceux qui veulent prendre le temps de la comprendre.
Même si cela ne devait être qu'un jeu esthétique, ça n'enlèverait rien à sa valeur symbolique.