Joan Miró : biographie inspirante de l'artiste catalan, figure du surréalisme et de la modernité
L'artiste catalan Joan Miró (1893-1983) est d'abord connu comme artiste peintre surréaliste. Touche-à-tout autodidacte, l'Espagnol expérimentera en réalité de nombreux arts et procédés artistiques, tour à tour sculpteur, graveur et peintre. En 70 ans de carrière, sur 90 années d'une vie bien remplie, il traverse et s'approprie les courants artistiques du XXe siècle. Joan Miró est une figure majeure du surréalisme et de l'art moderne dans les beaux-arts, qui a su trouver sa propre expression artistique. Il nous laisse une œuvre foisonnante et unique : 2 000 peintures, 400 céramiques, 500 sculptures et pas moins de 5 000 dessins avec collages, ainsi que d’immenses œuvres pour des commandes publiques. Joan Miró a de quoi inspirer les artistes contemporains avec un style coloré, enfantin (voire naïf) et poétique.
Sous l'influence du cubisme, Miró crée le « fauvisme catalan » avant de devenir une figure du surréalisme à Paris
Dès 1912, Miró visite à Barcelone une exposition cubiste et trouve là sa vocation : artiste peintre. Très tôt, il veut « tuer les codes classiques de l'art ». En 1913, le jeune artiste peintre signe ses premiers portraits, puis des tableaux à partir de 1915, sous l'influence du cubisme et du fauvisme. Le fauvisme est fait de couleurs fortes et d'une recherche de la qualité picturale, plus que du réalisme figuratif, comme dans les tableaux de Matisse.
De 1915 à 1919, l'artiste espagnol crée le « fauvisme catalan », une synthèse inédite du cubisme, du fauvisme et de ses autres influences modernes du début du XXe siècle. Il s'inspirera notamment de Van Gogh (impressionniste tardif qui annonce le fauvisme et l'expressionnisme), de Gauguin (post-impressionniste, il fonde l'École de Pont-Aven) et de l'expressionnisme allemand. En 1917, l'artiste peintre Miró rencontre Picabia à Barcelone. D'abord dadaïste, puis surréaliste, le peintre et dessinateur français rentre à Paris en 1918.
Miró emménage à Paris en 1920, où il découvre la vie artistique foisonnante de Montparnasse. Son art sera durablement influencé par ses rencontres amicales, avec Picasso (peintre cubiste) et les surréalistes, emmenés par André Breton, mais aussi par le dadaïsme et l'avant-garde. Miró réalise des toiles avec certains de ses amis écrivains et poètes surréalistes, comme Paul Élouard, Alfred Jarry, Jacques Prévert, Tristan Tzara et, bien sûr, André Breton. C'est par ses amis écrivains qu'il découvre le monde de l'édition d'art et de la gravure, qu'il expérimente en rentrant en Espagne.
En 1920, Joan Miró entre dans une courte période « détailliste » ou « précisionniste », inspirée de l'art primitif italien (il s'agit de réalisme, jusque dans les plus petits détails). Dès 1922, il revient à des peintures plus surréalistes, mais en donnant autant d'importance aux petits et aux grands éléments. Il commence à développer son propre langage pour s'exprimer : fait de symboles, de formes, de traits droits, courbes ou avec des angles, appelé « calligraphie mironienne ».
À partir de 1923, Joan Miró expérimente et développe son propre langage surréaliste
En 1923, Joan Miró rentre à Barcelone et se consacre surtout à la gravure et à la sculpture. Sculpteur surréaliste, élève de Galli (1932), puis d'Artigas (1944), et artiste-graveur, Miró est un expérimentateur. Il teste et mixe tous les procédés possibles (lithographie, sérigraphie, carborundum, scanner numérique, aquatinte, xylographie, chalcographie, taille-douce, pochoir…) et tous les supports (parchemins, patrons de couture, papier journal, couvertures de livres, tissu Vichy…). Miró veut tout tester et ouvrir le champ des possibles, repousser les limites traditionnelles et techniques. En gravure, il modifie lui-même ses propres presses pour créer de nouveaux effets. Dans ses toiles, il utilise aussi les collages à partir de 1933.
Il est signataire du Manifeste surréaliste en 1924, avec son ami André Breton, chef de file du mouvement. Ce dernier dira de Miró qu'« il est le plus surréaliste d'entre nous ». Le surréalisme met en avant l'exploration de l'inconscient, notamment par le monde du rêve. Plus qu'un mouvement artistique transdisciplinaire, des arts graphiques à la littérature, le surréalisme est une attitude liée à la découverte des théories freudiennes. Cet état d'esprit consiste à expérimenter, par la peinture et l'écriture automatique par exemple, l'expression de ses pensées inconscientes, sans censure du conscient et de la volonté. Il s'agit de lâcher-prise et de réaliser le plus rapidement possible son œuvre sans réfléchir au résultat que l'on souhaite.
Joan Miró exprimait ainsi les recoins de son imaginaire, prenant plaisir au jeu et à la découverte. Dans cette liberté jouissive, l'artiste peintre Miró se joue des contraintes, qu'il s'impose au hasard des associations instinctives d'idées. En tant que sculpteur et graveur, il associe des objets hétéroclites du quotidien et superpose toutes sortes de matières, sur toutes sortes de supports. En tant que peintre, Miró s'amuse avec les taches et les « accidents diaboliques qui se prêtent à tant d'aventures ».
Tantôt inquiétantes, tantôt joyeuses, ses toiles représentent des ébauches de personnages fantasques, des formes et des symboles étranges, nés de son imagination et d'hallucinations. Supprimant les plans et la perspective, Joan Miró travaille par aplats de couleurs vives, avec des personnages, tantôt joyeusement enfantins, tantôt menaçants. À la limite entre rêve et réalité, il crée son univers fantastique peuplé de formes et de symboles récurrents. « Peintre mirobolant », selon son ami Robert Desnos, il fait cohabiter les oiseaux, les femmes, les sexes d'hommes, les comètes, les étoiles, etc. Et bien que ses tableaux soient de plus en plus épurés et elliptiques (mais toujours représentatifs), les titres humoristiques de ses œuvres apportent de la poésie et du sens à ce joyeux chaos.
L'après-guerre de Joan Miró : de grands formats épurés et colorés à la limite de l'abstraction
En 1943, il revient s'installer en Espagne, où il rencontre Adrien Maeght, le fils de ses amis Aimé et Marguerite Maeght. Il est éditeur d'art, passionné par les nouveaux procédés techniques et par l'expérimentation, comme Miró. En 1946, Adrien Maeght crée son imprimerie ARTE, où il réserve un atelier et une presse à son ami graveur Joan Miró. En 1960, Miró crée un « Labyrinthe » dans le jardin des parents Maeght, avec des sculptures et un vitrail céleste monumental.
Dans les années 1950, en tant que sculpteur, Miró expérimente de nouveaux procédés de sculpture pour mélanger les matières et assembler des objets hétéroclites du quotidien. Il s'intéresse au mobilier urbain et à la décoration de bâtiments et monuments. Miró a livré plusieurs commandes pour de grands travaux, comme devant l'UNESCO (« Deux personnages fantastiques », 1976). Après avoir formé beaucoup de céramiques colorées, il se met à la sculpture du bronze, avec des techniques ancestrales chinoises.
En peinture, pour faire taire ses angoisses, il se tourne vers des thématiques oniriques et vers le travail épuré des couleurs, qui se suffisent presque à elles-mêmes. Joan Miró est à la recherche du dépouillement, de la simplicité, de la pureté des formes et des symboles, lesquels sont quasiment supplantés par l'intensité des couleurs. Les représentations de la réalité ou du monde des rêves sont de plus en plus elliptiques, proches de l'abstraction, mais les formes représentent toujours quelque chose chez Miró. Le rendu est intense, dépouillé et poétique, comme avec ses « Constellations », un ciel étoilé, peint pendant la guerre civile espagnole pour calmer ses angoisses.
Miró découvre les États-Unis à partir de 1947, et en même temps l'art naïf, inspiré de l'expressionnisme, de Jean-Michel Basquiat et le pop-art d'Andy Warhol, avec son traitement intense des couleurs. Dans les années 1960, il peindra de très grands formats abstraits aux couleurs vives, inspirés de la peinture américaine. Le bleu, du ciel et de la mer, deviendra sa couleur. Il atteint la plénitude dans sa série bleue : « Bleu I », « Bleu II » et « Bleu III », des triptyques monochromes peints en 1961.
Joan Miró a légué de son vivant une grande partie de ses œuvres à la Fondation Miró, inaugurée en 1975 à Barcelone. Née sous le régime franquiste (qui tombe en 1977), la fondation apporte une nouvelle vision : celle de promouvoir l'art contemporain, et pas seulement de conserver le patrimoine. En 1980, Miró reçoit la « médaille d'or du mérite des Beaux-Arts », du ministère de la Culture espagnol, en hommage à la créativité foisonnante et éclectique de l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Il s'éteint à Majorque à 90 ans, reconnu et encensé, de Chicago à Barcelone, en passant par Houston et Senlis (à côté de Reims), villes qui recevront ses dernières commandes, des bronzes et des vitraux.